Auteur :
Elena Ferrante
Titre :
Les jours de mon abandon
Genre :
roman
Langue
d’origine : italien
Traducteur :
Italo Passamonti
Editeur :
Gallimard
Nombre de
pages : 232p
Date de
parution : avril 2014
Présentation de l’éditeur :
Olga, trente-huit ans, un mari, deux enfants. Un bel
appartement à Turin, une vie faite de certitudes conjugales et de petits
rituels domestiques. Quinze ans de mariage. Puis, un après-midi d'avril, une phrase
de son mari met en pièces cette existence sereine et transforme Olga en femme
abandonnée. Une femme rompue. Lâchée, brisée. Una poverella, comme cette
voisine de son enfance napolitaine dont elle croit encore entendre les pleurs
la nuit. Frappée de stupeur, Olga ne comprend rien au prétendu «vide de sens»
de l'homme qu'elle a suivi à Turin, et pour qui elle a abandonné l'écriture.
L'homme avec qui elle voulait vieillir est devenu l'homme qui ne veut plus
d'elle. Olga n'existe plus. Ou seulement dans sa lente déchéance, dans cette
descente aux enfers où la terre semble se dérober sous ses pieds, et les
événements se liguer contre elle : un repas de réconciliation se termine dans
le sang, son garçon tombe malade, le téléphone est coupé sans raison, le berger
allemand agonise, sans doute empoisonné, puis la porte de l'appartement se
bloque de l'intérieur et Olga se retrouve enfermée... Le livre d'Elena Ferrante
nous projette littéralement dans l'intimité d'Olga et nous embarque pour un
voyage aux frontières de la folie. Par la justesse de son ton et son rythme
haletant, Les jours de mon abandon constitue une variation parfaitement
maîtrisée et originale sur le thème de la femme abandonnée.
Mon avis :
C’est désormais chose certaine, Elena Ferrante devenue un
auteur incontournable pour moi. Après avoir eu d’énormes coups de cœur pour les
deux premiers tomes de L’amie prodigieuse,
au point d’avoir envie de les faire lire à tout le monde (d’ailleurs j’attends
avec impatience l’avis de Roxane, Daphné a elle aussi eu un coup de cœur), j’avais
beaucoup aimé Poupée volée. Je
poursuis ma découverte de son œuvre et une nouvelle fois je suis totalement
sous le charme.
Olga mène la vie ordinaire d’une femme au foyer. Mère de
deux jeunes enfants, elle est mariée depuis près d’une vingtaine d’années à un
homme pour lequel elle a renoncé à sa carrière. Son monde s’écroule lorsque
celui-ci lui annonce soudainement qu’il la quitte.
Le récit d’une femme quittée et trompée qui pourrait être
très banal, mais rien n’est banal avec Elena Ferrante. Elle balaie d’un revers
de main les faux semblants et offre le portrait sans fards de cette femme que
la douleur et la colère mènent au bord de la folie. Aucune concession dans son
écriture, c’est âpre et violent, parfois même agressif et obscène. Olga s’effondre
à la suite de l’effondrement de sa vie. La femme au foyer modèle ne s’occupe
plus de sa maison, la mère attentive délaisse ses enfants, la femme élégante se
laisse aller, la femme cultivée n’utilise plus qu’un langage ordurier et
venimeux. Ne reste plus qu’une caricature d’Olga, un fantôme de ce qu’elle
était, dépouillée de son identité et de sa vie.
C’est un huis-clos oppressant rassemblant Olga dont la
raison se fissure progressivement, ses enfants observateurs inquiets et le
chien. Le voisin apparaît à la limite de cet univers, les amis s’éloignent
rapidement effrayés par la véhémence de la colère d’Olga, tandis que le mari
profite de sa nouvelle vie et de sa nouvelle compagne, insouciant et heureux.
La tension monte lentement, jusqu’à cette journée d’angoisse
lorsqu’Olga se retrouve enfermée dans l’appartement avec son fils malade et le
chien agonisant. Apogée de la crise d’Olga, cette journée en sera aussi la fin.
Difficile de dire de ce roman qu’il est beau, et pourtant c’est
l’impression que j’en garde. C’est un roman qui marque, une variation
parfaitement réussie sur un thème déjà souvent abordé par les écrivains.
Extrait :
« Tout était si
fortuit. J’étais tombée amoureuse de Mario encore jeune fille, mais j’aurai pu
tomber amoureuse de n’importe qui d’autre, d’un corps auquel nous finissons par
attribuer je ne sais quelles significations. Un long lambeau de vie passée
ensemble et on pense que c’est le seul et unique homme avec qui on aimera vivre
sa vie, on lui attribue certaines vertus résolutoires, et c’est, au contraire,
seulement un bois émettant des sons de fausseté, on ne sait qui il est véritablement,
il ne le sait pas davantage lui-même. Nous sommes des occasions. Nous consumons
et nous perdons notre vie parce que, en des temps reculés, tel ou tel a été
gentil avec nous, il nous a élues parmi les femmes, tellement il avait envie de
décharger son braquemart dans notre corps. Nous prenons son banal désir de
foutre pour quelque gentillesse exclusivement adressée à notre personne. Nous
aimons son envie de baiser précisément avec nous, avec nous seulement. Oh oui,
lui qui est si spécial et qui nous a reconnues spéciales. Nous lui donnons un
nom à cette envie du braquemart, nous la personnalisons, nous l’appelons mon
amour. Au diable tout cela, quelle foutue bévue, quelle flatterie dépourvue de
fondement. »