Auteur :
Anaïs Llobet
Titre :
Des hommes couleur de ciel
Genre :
roman
Langue
d’origine : français
Editeur :
L’observatoire
Nombre de
pages : 224p
Date de
parution : janvier 2019
Mon avis :
Il y a quelques semaines j’ai assisté pour la première fois
à un club de lecture organisé par ma librairie préférée. Ce fut un excellent
moment où à tour de rôle nous avons présenté des livres coup de cœur. C’est à
cette occasion que j’ai découvert ce roman d’Anaïs Llobet. Je ne peux que
remercier celui qui nous l’a présenté !
A l’heure du déjeuner une bombe explose dans un lycée de La
Haye, tuant de nombreux adolescents et enseignants. Alissa, qui y enseigne le
russe, se rend aussitôt sur place. L’horreur qu’elle découvre est décuplée
quand elle apprend l’identité du coupable : Kirem, un élève de sa classe.
D’origine tchétchène, l’adolescent est renfermé et agressif. Tout le contraire
de son frère Oumar à qui il ressemble pourtant trait pour trait, solaire,
attachant et brillant. Peu de temps après l’attentat, Oumar est arrêté par les
policiers qui recherchent son frère. Alissa prétend être russe, mais est en
réalité tchéchène, à l’horreur de l’attaque s’ajoute la crainte d’être
assimilée aux terroristes, voire accusée de complicité. Elle accepte donc très
facilement de servir d’interprète aux
policiers qui interrogent Oumar et Makhmoud, son cousin.
C’est un roman fort, poignant, qui nous parle d’identité, d’exil,
d’intégration et du poids des traditions. Les quatre personnages principaux de
ce roman, Alissa, Oumar, Kirem et Makhmoud sont d’origine tchétchène et ont
connu la guerre toute leur enfance. Les deux premiers sont bien décidés à s’intégrer.
Alissa dans le secret, en cachant ses origines tchétchène et se faisant passer
pour russe. Oumar peut vivre son homosexualité au grand jour. Mais Makhmoud, fanatisé
depuis l’enfance, et Kirem, manipulé par son cousin, ne connaissent que la
haine. C’est à travers ses rédactions que l’on découvre Kirem. Des textes
imprégnés de colère, de la rancœur de l’enfant qui n’a rien, de sa solitude, sa
peur et sa tristesse.
Il s’agit du deuxième roman d’Anaïs Llobet et le moins que l’on
puisse dire c’est que la jeune autrice y fait preuve d’une maîtrise
remarquable. Son roman est admirablement construit de même que ses personnages.
Elle s’attaque à des thèmes difficiles, avec intelligence. Et le titre !
Magnifique.
A découvrir absolument.
Extrait :
« bien sûr que je les connais tes verbes de mouvement
en russe mais ils servent à rien ici
ici pas besoin de bondir sauter courir jusqu'à plus pouvoir respirer
y a rien à fuir les gens sont tranquilles les avions passent sans bruit la terre tremble mais c'est juste un tramway
et quand ils disent on descend à la cave, c'est pour rapporter de l'alcool haram ou des livres déjà lus
ils ont pas besoin de brûler les portes ici car les radiateurs marchent l'hiver
je te le dis, ils sont faciles à apprendre les verbes de mouvement en temps de paix »
ici pas besoin de bondir sauter courir jusqu'à plus pouvoir respirer
y a rien à fuir les gens sont tranquilles les avions passent sans bruit la terre tremble mais c'est juste un tramway
et quand ils disent on descend à la cave, c'est pour rapporter de l'alcool haram ou des livres déjà lus
ils ont pas besoin de brûler les portes ici car les radiateurs marchent l'hiver
je te le dis, ils sont faciles à apprendre les verbes de mouvement en temps de paix »
« Depuis dix ans, son intégration n'avait souffert
d'aucun angle mort. Elle était néerlandaise, de passeport et de volonté. « Vous
qui êtes russe », avait dit le professeur, n'accordant aucun crédit aux dix
dernières années qu'elle avait vécues ici, aux Pays-Bas, chez lui. Ces années
ne valaient rien : elles étaient balayées par son accent, ses origines. Elle
était prisonnière de son déguisement à double étage, ni Russe ni Néerlandaise,
à jamais Tchétchène et incapable de défendre son peuple lorsqu'il était attaqué
par une chronologie simpliste et à charge. »
« Il n'avait jamais vu de ville sans blessure. Les
maisons ressemblaient à des maisons de poupées et les tramways sillonnaient les
rues comme des jouets d'enfants. Les passants ne sursautaient pas à chaque
pétarade de moto. Les petits criaient pour le plaisir de crier, ils
quémandaient des cônes glacés, l'estomac plein. Sur la plage de Scheveningen,
les filles avaient étendu des serviettes de bain et sirotaient des bières,
elles montraient leurs jambes au soleil. À côté, des garçons sautaient torse nu
pour attraper des frisbees. Il était subjugué. »
« Il n'y avait qu'une seule voie d'intégration. Celle
qu'Oumar et Alissa avaient choisie. Faire table rase, prétendre que rien
n'avait existé. Donner à quelques souvenirs un accent folklorique et éteindre
les autres, comme on étouffe un feu pour laisser les braises vives plus
longtemps, à l'abri des regards. Un simple subterfuge. C'était ce que Kirem
n'avait pas compris. »
Catégorie couleur
Merci Ariane, tu me convaincs !
RépondreSupprimerParfois ça vaut la peine d'agrandir sa PAL !
SupprimerComme je suis ravie de te lire ! Pour moi c'est l'un des meilleurs romans de la rentrée d'hiver 2019 alors j'espère qu'il va encore rencontrer un large public (pour info il vient tout juste de paraitre en Folio)
RépondreSupprimerIl le mériterait, car j'ai l'impression qu'il n'a pas rencontré son public et c'est bien dommage.
SupprimerMerci pour cette découverte.
RépondreSupprimerAvec plaisir !
SupprimerQuand je travaillais, j'ai eu l'occasion d'être en contact avec des Tchéchènes et ce n'était jamais simple .. Je le note, d'autant plus qu'il est sort en poche maintenant.
RépondreSupprimerL'autrice expose avec intelligence les difficultés particulières d'insertion pour les tchétchènes, liés tant à leur histoire qu'à leur culture.
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