samedi 17 juillet 2021

Les grandes occasions - Alexandra Matine

Par Ariane


Auteur : Alexandra Matine

Titre : Les grandes occasions

Genre : roman

Langue d’origine : française

Editeur : Les avrils

Nombre de pages : 256p

Date de parution : janvier 2021

 

Mon avis :

Après avoir suivi les lectures des 68 premières fois pendant des années, je me suis lancée cette année dans l’aventure. J’ai découvert une sélection éclectique, il y a eu des coups de cœur et des déceptions. Et je termine la sélection avec ce très beau roman.

C’est la fin pour Esther. Alors que son mari et ses enfants sont réunis autour de son lit d’hôpital, on remonte le temps, quelques heures plus tôt. Esther est en pleins préparatifs d’une journée qu’elle a attendu, espéré, rêvé depuis des années. Elle a tout prévu dans les moindres détails. Une belle journée d’été, la grande table sur la terrasse, la nappe blanche… la famille réunie pour la première fois depuis des années. Ses enfants, ses gendres et belles-filles, ses petits-enfants… Une journée sensée être parfaite.

Pendant les quelques heures précédant le repas familial, nous remontons le fil des souvenirs d’Esther. Jeune infirmière, elle découvre l’indépendance loin de la ferme familiale, lorsqu’elle rencontre Reza, étudiant en médecine d’origine iranienne. Le jeune couple s’installe, se marie, les enfants arrive, de même que la réussite professionnelle pour Reza, tandis qu’Esther reste à la maison pour éduquer leurs enfants.

Alexandra Matine décortique les relations d’une famille dysfonctionnelle dominée par la figure d’un tyran domestique, les dissensions et les non-dits. Mais elle explore aussi les regrets et la solitude d’une femme à l’approche de la vieillesse. Les enfants ont grandi, ils ont leur vie dont elle ne fait plus tout à fait partie, il y a bien longtemps qu’il n’y a plus de complicité avec son mari, pas d’amis ni d’occupation. Alors ce repas, elle y tient plus que tout. Mais qui s’en rend compte ? Qui voit, comprend, les sentiments de la mère ?

Un beau portrait de femme, clap de fin idéal pour terminer cette expérience des 68 premières fois.

 

Extrait :

« C’est aussi son travail de mère de garder les souvenirs intacts. Elle les garde pour que les enfants puissent se les rappeler avec elle. Les enfants oublient leur enfance. Ils en retiennent des impressions, des sensations. Quelques événements. Mais ils oublient. L’enfance est un moment qui appartient aux parents. Alors elle l’a gardée, bien rangée, bien protégée. Les enfants peuvent s’y replonger. Ils s’y replongeront un jour. Et ils auront les mêmes souvenirs que leur mère. »

« Dans la famille, on se frôle. On s’évite. Le toucher est une faiblesse. La caresse, comme la parole, est un opprobre. Elle est dégradante. Elle est naïve. Elle est un mouvement de confiance. Elle est une demande et la demande fait peur. Parce que après la demande il peut y avoir le non. Après tout élan peut venir le rejet. Après toute gentillesse, l’évitement. Et si cela vient d’un membre de la famille, alors le rejet est double. »

« Longtemps, Esther avait rêvé de revoir sa famille réunie. Devant elle, à présent, sans qu'elle puisse le voir, prend forme le tableau rêvé ; la tapisserie secrète devant laquelle elle avait agenouillé sa vie, et dont, du matin au soir, année après année, elle avait tissé les fils de soie colorés. Sa famille, c'était son œuvre inachevable ; elle les avait noués les uns aux autres, les fils avec les belles-filles, les femmes et leur beau-père, les petits-enfants et leurs oncles et leurs tantes, autant de fils fragiles entre lesquels, avec amour et patience, elle avait laissé ses doigts s'emmêler. Des milliers de petits nœuds délicats dont parfois un, malgré elle, se brisait avec un bruit sec, presque imperceptible, tic, comme une fourmi qu'on écrase. »

« Elle regarde sa montre. Ils ne devraient pas tarder. Elle regarde la table vide. Et toutes les chaises autour. Aujourd'hui il n'y aura pas de chaise vide, se dit-elle. Ils seront tous là. Dans quelques minutes ils seront là. Ils viendront peupler le silence et le vide. Ajouter leur chaleur à la chaleur de l'air. Et pendant qu'ils parleront, Esther verra se resserrer les fils qu'elle a si patiemment noués et que la vie, injuste et acharnée, a distendus, effilochés, cassés. »


 

2 commentaires:

  1. Vraiment contente de t'avoir eue parmi nous pour cette session et ravie de constater que tu sembles avoir apprécié l'expérience.

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