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samedi 18 novembre 2017

L'art de perdre - Alice Zeniter

Par Ariane



Auteur : Alice Zeniter

Titre : L’art de perdre

Genre : roman

Langue d’origine : français

Editeur : Flammarion

Nombre de pages : 512p

Date de parution : août 2017

Présentation de l’éditeur :

L’Algérie dont est originaire sa famille n’a longtemps été pour Naïma qu’une toile de fond sans grand intérêt. Pourtant, dans une société française traversée par les questions identitaires, tout semble vouloir la renvoyer à ses origines. Mais quel lien pourrait-elle avoir avec une histoire familiale qui jamais ne lui a été racontée ? Son grand-père Ali, un montagnard kabyle, est mort avant qu’elle ait pu lui demander pourquoi l’Histoire avait fait de lui un « harki ». Yema, sa grand-mère, pourrait peut-être répondre mais pas dans une langue que Naïma comprenne. Quant à Hamid, son père, arrivé en France à l’été 1962 dans les camps de transit hâtivement mis en place, il ne parle plus de l’Algérie de son enfance. Comment faire ressurgir un pays du silence ? Dans une fresque romanesque puissante et audacieuse, Alice Zeniter raconte le destin, entre la France et l’Algérie, des générations successives d’une famille prisonnière d’un passé tenace. Mais ce livre est aussi un grand roman sur la liberté d’être soi, au-delà des héritages et des injonctions intimes ou sociales.


Mon avis :

Je ressors de la lecture de ce roman bouleversée, choquée et révoltée. J’ai été bouleversée par l’histoire de cette famille et révoltée par le traitement réservés aux Harkis.

Ali est un paysan aisé, pour protéger sa famille et tous ceux qui dépendent de lui et bien que rêvant aussi d’une indépendance pour son pays, il décide de ne pas soutenir ouvertement le FLN et refuse de renoncer à sa pension d’ancien combattant. Si les habitants de son village le remercient alors de sa protection, dès les accords d’Evian il est rejeté et considéré comme un traître. Il n’a plus le choix et se voit contraint de fuir en compagnie de sa femme et de leurs enfants, laissant derrière eux leurs terres et leurs proches. Dès son arrivée en France, la famille déchante, l’accueil réservé aux harkis n’est pas vraiment chaleureux. Le camp, puis le HLM dans une petite banlieue de Normandie, l’usine.

Hamid a 10 ans, lorsqu’il arrive en France. Il est l’aîné des enfants d’Ali. Ce garçon intelligent et débrouillard apprend rapidement le français, puis à lire et à écrire et rattrape son retard scolaire. Sa famille dépend beaucoup de lui, et ces responsabilités pèsent lourd sur ses épaules d’enfant. Hamid rejette au plus profond de sa mémoire les souvenirs du pays, de la famille laissée derrière, du départ et de l’arrivée en France.

Naïma est la fille d’Hamid et elle ne sait presque rien du passé de sa famille. Ali n’a jamais parlé à son fils des raisons qui l’ont poussé à fuir et Hamid ne parle pas non plus du pays. Naïma s’interroge beaucoup sur ce pays rêvé, idéalisé et mythifié. Elle s’interroge sur ses origines, son identité, ses racines. Elle travaille dans une galerie, Christophe son patron et amant décide d’organiser une rétrospective sur un artiste kabyle et Naïma se retrouve sur le sol algérien.

J’ai vraiment été très touchée par l’histoire de cette famille et notamment par les personnages d’Ali et Naïma. Ali, un homme respecté et respectable, se retrouve en butte au mépris de tous. C’est un homme qui a tout perdu et qui ne parviendra jamais à s’intégrer dans ce nouveau pays qui le rejette. Naïma, perdue entre différentes identités, celle qu’elle ressent, celle qu’elle imagine et celle qu’on lui renvoie. J’ai eu plus de mal à comprendre Hamid, son rejet de son père et son refus de transmettre son pays à ses enfants.

Ce roman m’a fait prendre conscience de mon ignorance. De l’histoire des harkis, je ne connaissais quasiment rien. Au lycée, lorsqu’on abordait la guerre d’Algérie, on parlait peu des Harkis. C’est une histoire survolée, cachée, tue. Alice Zeniter lève le voile sur cette période très sombre de l’histoire de la France et de l’Algérie. En nous parlant d’Ali, d’Hamid et de Naïma, elle nous parle de sa famille et d’elle-même, elle nous parle de tous ces Algériens arrivés en France pour avoir choisi le mauvais camp ou même pour ne pas avoir choisi du tout.

J’ai été assez décontenancée par le style choisi par l’auteur. Elle adopte un point de vue extérieur et nous raconte l’histoire de Naïma à la façon d’un conteur, elle s’adresse directement au lecteur et s’implique dans le récit. C’est un mode de narration qui ne me plaît pas en général, mais j’ai tellement apprécié ce roman que j’ai passé outre.

Le roman vient d’ailleurs d’obtenir le prix Goncourt des Lycéens et le mérite amplement !



Extraits :

« Tu mourras pour ton pays, il m'a dit. Explique-moi, mon frère – ça l'a mis en rogne que je l'appelle comme ça, j'ai bien vu – explique-moi : en quoi ça sert l'Algérie si je meurs ? C'est pas lui rendre service. Moi je suis jeune, je suis fort et j'aime mon pays. Je veux être là pour le construire. Si les gars comme moi vont tous se faire tuer, qui va la construire, ton Algérie libre ? Les vieillards et les femmes ? »


« Mais peut-être qu'Ali n'est pas fou, se dit Naïma...Peut-être que la douleur lui donne le droit de crier, ce droit qu'il n'a jamais pris auparavant. Peut-être que, parce qu'il a mal à son corps pourrissant, il trouve enfin la liberté de hurler qu'il ne supporte rien, ni ce qui lui est arrivé ni cet endroit où il est arrivé. Peut-être qu'Ali n'a jamais été aussi lucide que lorsqu'il insulte ceux qui ouvrent sa porte. Peut-être que ces cris ont été étouffés quarante ans parce qu'il se sentait obligé de justifier le voyage, l'installation en France, obligé de masquer sa honte, obligé d'être fort et fier face à sa famille, obligé d'être le patriarche de ceux qui pourtant comprenaient mieux que lui le français. Maintenant qu'il n'a plus rien à perdre, il peut gueuler. »


«Choisir son camp n'est pas l'affaire d'un moment et d'une décision unique, précise. Peut-être, d'ailleurs, que l'on ne choisit jamais, ou bien moins que ce que l'on voudrait. Choisir son camp passe par beaucoup de petites choses, des détails. On croit n'être pas en train de s'engager et pourtant, c'est ce qui arrive. »


«  Rien n'est sûr tant qu'on est vivant, tout peut encore se jouer, mais une fois qu'on est mort, le récit est figé et c'est celui qui a tué qui décide. Ceux que le FNL a tués sont des traîtres à la nation algérienne et ceux que l'armée a tués des traîtres à la France. Ce qu'a été leur vie ne compte pas : c'est la mort qui détermine tout. Ali réalise en parlant avec Djamel que ses actes n'ont plus d'importance, que le silence qu'il a choisi face au capitaine ce matin-là n'a aucun poids puisque le FNL décidera pour lui qu'il a trahi si jamais ses hommes l'égorgent d'une oreille à l'autre. Et tout l'honneur dont Ali aura fait preuve de son vivant disparaîtra d'un mouvement de lame pour l'afficher comme un traître mort. »


« La langue crée un éloignement progressif. L'arabe est resté pour eux un langage d'enfant qui ne couvre que les réalités de l'enfance. Ce qu'ils vivent aujourd'hui, c'est le français qui le nomme, c'est le français qui lui donne forme, il n'y a pas de traduction possible. Alors, quand ils s'adressent à leurs parents, ils savent qu'ils s'amputent de toute une maturité nouvelle et qu'ils redeviennent des gamins de Kabylie. Il n'y a pas de place dans les conversations entre l'arabe qui pour eux s'efface dans le temps et le français qui résiste à leurs parents, pour les adultes qu'ils sont en train de devenir. »


« Au lieu de poser ses pas dans les pas de son père et de son grand-père, elle est peut-être en train de construire son propre lien avec l'Algérie, un lien qui ne serait ni de nécessité ni de racines mais d'amitié et de contingences. »


« _ Qu'est-ce que tu perds à y aller maintenant ?
Naïma ne peut pas répondre. Elle perdrait l'absence de l'Algérie peut-être, une absence autour de laquelle s'est construite sa famille depuis 1962. Il faudrait remplacer un pays perdu par un pays réel. C'est un bouleversement qui lui paraît énorme. »


« Qu'est-ce-que tu croyais? Qu'un pays, ça passe dans le sang? Que tu avais la langue kabyle enfouie quelque part dans tes chromosomes et qu'elle se réveillerait quand tu toucherais le sol! »

D'autres avis chez Mimi, Jostein, Laure, Eva

12 commentaires:

  1. Tu as raison de dire que l'on connaît peu l'histoire des Harkis en France. Quand la France fait quelque chose de honteux, les moins informés ce sont les français ! C'est comme les camps de concentration en France pendant la dernière guerre. On commence peu à peu à en parler mais je suis sûre que beaucoup de gens en ignore tout.
    C'est un livre que j'ai envie de lire mais j'ai peur que le style de narration ne me rebute.

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    1. J'ai été vraiment surprise de découvrir que j'en savais aussi peu et j'ai bien l'intention d'en apprendre plus.

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  2. Je compte bien le lire. J'ai déjà lu un précédent roman d'Alice Zeniter (Sombre dimanche) et j'en avais aimé le style...

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    1. Je n'ai lu qu'un de ses romans (avant le blog) mais celui-ci m'a donné envie de découvrir un peu plus son travail.

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  3. C'est un livre fantastique, qu'il faut absolument lire et qui, je le pense vraiment deviendra un classique dans quelque temps. Elle parvient à allier la pédagogie au romanesque et su coup, on le dévore comme une saga tout en en ressortant un peu plus instruit et peut être un peu plus sensible à l'autre.

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  4. Je suis contente de voir que tu as été touchée par ce roman, car je craignais un roman trop cérébral, un peu didactique et laissant peu de place à l'émotion. Je le fais donc remonter dans ma liste !

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    1. Il n'est pas du tout cérébral et l'émotion est bien présente sans jamais tomber dans le pathos. Il mérite de figurer en bonne place dans ta liste.

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  5. Elle vient dans ma librairie jeudi soir ; je vais aller l'écouter avec intérêt.

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    1. Elle était invitée par ma librairie il y a quelques semaines et son intervention était très intéressante.

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  6. Que de billets positifs sur ce roman. Il va falloir que je me décide à le lire.

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