Auteur :
Abel Quentin
Titre :
Sœur
Genre :
roman
Langue
d’origine : français
Editeur :
L’observatoire
Nombre de
pages : 256p
Date de
parution : août 2019
Mon avis :
« Abel Quentin pourrait être la version masculine d’Anaïs
Llobet. » écrivait Nicole dans son billet. Rien n’est plus vrai et je
pourrais dire qu’il n’y a rien à ajouter !
Comme beaucoup d’adolescentes, Jenny Marchand est mal dans
sa peau. Pas d’amis, physique ingrat, caractère revêche, elle observe de loin
ces adolescents populaires qui ne la remarquent même pas. Un jour d’audace folle,
elle tente sa chance auprès d’un beau garçon dont elle est amoureuse. Le rejet
et la honte, puis le harcèlement sur les réseaux sociaux, exacerbent en elle la
colère et la détresse. Perdue dans sa détresse et sa solitude, Jenny ne voit
aucune issue. Mais un message change sa vie. Une inconnue lui tend la main, lui
offre son amitié. Pour la première fois, Jenny a une amie, qui l’accepte, la
comprend et la soutient. Alors, à corps perdu, Jenny se jette dans cette amitié
empoisonnée. Quelques mois à peine suffiront à transformer l’adolescente complexée
en apprentie terroriste.
Ainsi donc, comme Anaïs Llobet dans l’excellent Des hommescouleur de ciel, Abel Quentin s’empare du sujet brûlant de la radicalisation et
du passage à l’acte terroriste d’adolescents en perdition. Radicalisation n’est
d’ailleurs pas le bon terme, comme l’a expliqué l’auteur. Jenny ne connaît rien
à l’Islam, Jenny ne comprend pas, Jenny ne réfléchit pas. Elle est abreuvée
sans cesse de mots et d’images de haine, échos de sa colère et de sa souffrance.
Ce n’est pas une conversion, c’est un lavage de cerveau. Cela paraît impossible
et pourtant… combien de parents ont vu ainsi dériver l’enfant aimé… C’est
troublant, terrifiant.
Abel Quentin nous entraîne dans l’esprit de Jenny, certaines
lectrices (et lecteurs) pourront se reconnaître un peu dans cette jeune fille
perdue, proie idéale pour des fous en tous genres. Car elle n’est que ça
finalement, une gamine paumée, qui se croit enfin acceptée, qui fait partie d’un
groupe pour la première fois de sa vie, qui a l’impression d’avoir un but alors
que son avenir lui semblait vide. Une gamine paumée chez qui les versets sanglants et
les images de décapitation, cohabitent avec le monde de Harry Potter
Outre le récit de la descente aux enfers de Jenny, Abel
Marchand nous raconte celle de ses parents. Un couple ordinaire, classe
moyenne, pavillon en banlieue. Ils assistent, impuissants, à la transformation
de leur fille. Ils cherchent de l’aide mais n’en trouvent aucune. La
gendarmerie ne peut rien faire, les associations non plus, pas plus que le
proviseur du lycée. Ils n’ont aucune prise sur leur fille, qui à 15 ans, comme
on le croit souvent à cet âge, est persuadée qu’elle sait tout et que ses
parents ne savent rien.
J’ai moins adhéré en revanche aux passages plus politiques
consacrés au président Saint-Maxens et à son premier ministre, candidat aux
présidentielles. Je n’ai jamais éprouvé grand intérêt pour la politique, les
jeux de pouvoirs m’ennuient (sauf quand il est question de rois maudits ou d’un
trône de fer…), les mesquineries, manipulations, petits et grands mensonges…
Saint-Maxens, vieux roublard de la politique sur le déclin, et Benevento,
arriviste aux dents longues, sont des personnages très réalistes, trop
peut-être.
Malgré ce léger bémol, j’ai beaucoup aimé ce roman, bien
écrit et percutant. Un premier roman réussi qui a figuré dans la première
sélection du Goncourt.
Extrait :
« Claquemurée dans le pavillon familial, l’enfance de
Jenny s’est consumée dans le silence. Pas que ses parents soient des taiseux,
simplement leur caquetage est pour elle comme le silence: vide et oppressant. »
« Elle veut forcer l’indifférence générale, fasciner le
monde ou le révulser. Barbouiller le ciel de sa douleur obscène, éclabousser l’horizon
de ses jeunes viscères, exhiber son âme si dégueulassement écorchée et
mélancoliquement inadéquate, achalander ses salopes souffrances sur un
étal de boucherie à faire pâlir un équarrisseur, un étal ignoble et somptueux. »
Très jolie couverture en tous cas, et un sujet d'actualité...
RépondreSupprimerTu as raison de mettre en avant la couverture, j'aime beaucoup l’œuvre de Macke.
SupprimerAh oui il est saisissant ce roman. C'est drôle, vous êtes plusieurs à émettre ce bémol sur le volet politique, je trouve personnellement que c'est ce qui donne du relief au propos en le plaçant autant dans la sphère intime et familiale que politique et sociétale. Ceci dit, je suis, contrairement à toi, férue de ces sujets politiques :-)
RépondreSupprimerHeureuse que tu aies pu le découvrir, il est aussi en lice pour le prix Regine Desforges du 1er roman.
Merci à toi de me l'avoir fait découvrir !
SupprimerTiens, je n'avais pas remarqué ce roman lors des sélections Goncourt. Merci de le mettre ainsi en lumière et de me donner envie de le lire.
RépondreSupprimerLa lecture vaut le détour !
SupprimerUne belle découverte donc.
RépondreSupprimerEt je suis d'accord avec l'auteur sur le mot radicalisation.
Merci pour cette chronique complète.
Bon dimanche
J'avais trouvée très intéressante cette analyse de l'auteur sur le terme.
SupprimerBon dimanche aussi
j'ai dû passer à côté, ce titre ne me dit rien. Je note ton intérêt certain.
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