Par Ariane
Auteur :
Javier Cercas
Titre :
Le monarque des ombres
Genre :
roman
Langue
d’origine : espagnol
Traductrice :
Aleksandar GRUJICIC, Karine LOUESDON
Editeur :
Actes sud
Nombre de
pages : 320p
Date de
parution : août 2018
Présentation de l’éditeur :
Un jeune homme pur et courageux, mort au combat pour une cause mauvaise (la
lutte du franquisme contre la République espagnole), peut-il devenir, quoique
s’en défende l’auteur, le héros du livre qu’il doit écrire ? Manuel Mena a
dix-neuf ans quand il est mortellement atteint, en 1938, en pleine bataille,
sur les rives de l’Èbre. Le vaillant sous-lieutenant, par son sacrifice, fera
désormais figure de martyr au sein de la famille maternelle de Cercas et dans le
village d’Estrémadure où il a grandi. La mémoire familiale honore et transmet
son souvenir alors que surviennent des temps plus démocratiques, où la gloire
et la honte changent de camp. Demeure cette parenté profondément encombrante,
dans la conscience de l’écrivain : ce tout jeune aïeul phalangiste dont la fin
est digne de celle d’Achille, chantée par Homère – mais Achille dans l’Odyssée
se lamentera de n’être plus que le “monarque des ombres” et enviera Ulysse
d’avoir sagement regagné ses pénates.
Que fut vraiment la vie de Manuel Mena, quelles furent ses convictions, ses
illusions, comment en rendre compte, retrouver des témoins, interroger ce
destin et cette époque en toute probité, les raconter sans franchir la
frontière qui sépare la vérité de la fiction ?
Mon avis :
Dans ma longue liste de romans à lire, figure Le livre que je ne voulais pas écrire de
Erwan Larher, qui m’a été conseillé par mon libraire peu après sa sortie. Je ne
l’ai toujours pas lu, mais le titre aurait pu être celui de ce livre Javier
Cercas.
Avant de cevenir écrivain, Cercas se disait qu’il devrait un
jour écrire l’histoire de Manuel Mena. Mais devenu écrivain, il lui est devenu inimaginable
de le faire. Il aura rejeté cette idée des années, avant de s’intéresser à
Manuel Mena, de partir sur ses traces, tout en continuant à dire qu’il n’écrirait
jamais sur lui. Manuel Mena était le grand-oncle de Javier Cercas, franquiste
et phalangiste, mort en 1938 à l’âge de 19 ans, bien des années avant la
naissance de celui qui décidera finalement d’écrire son histoire.
Ni un roman, ni une biographie, c’est le récit d’une enquête
que nous raconte Cecas, tout en parlant de la mémoire familiale, des blessures
mal cicatrisées de la guerre civile et de ses interrogations personnelles. Récit
intime donc, dans lequel Cercas, homme de gauche, raconte sa honte du passé
familial et notamment de cet encombrant ancêtre, Achille familial, mort de la
belle mort des héros «kalòs thánatos ». A travers les
souvenirs épars des rares personnes encore en vie à avoir connu l’oncle Manuel
(un cousin, quelques voisines, la propre mère de Cercas) et à l’aide des
documents historiques, Cercas nous dresse un portrait, ou plutôt une esquisse,
du jeune homme. Manuel Mena demeure une ombre, un anonyme parmi les milliers de
victimes de cette guerre. Ce n’est plus l’Achille de l’Illiade, mais celui de l’Odyssée,
le monarque des ombres.
J’ai été surprise d’aimer autant ce livre. Je craignais de m’ennuyer,
ce ne fut pas le cas (même si les passages consacrés aux mouvements de troupes
et aux combats m’ont parus un peu longuets).
Extrait :
« Parce que nous ne sommes pas omniscients. Parce que
nous ne savons pas tout. Quatre-vingts ans se sont écoulés depuis la guerre, et
toi et moi on a dépassé la quarantaine, alors pour nous c’est du tout cuit, on
sait que la cause pour laquelle Manuel Mena est mort n’était pas juste. Mais
est-ce qu’il pouvait le savoir lui à l’époque, lui, un gamin sans aucun recul
et qui, en plus, était à peine sorti de son village ? Tiens, et tant qu’on
y est, la cause pour laquelle Achille est mort était-elle juste ou injuste ?
A moi, elle me semble absolument injuste : la pauvre Hélène avait tout le
droit du monde de fuir avec Pâris et de quitter Ménélas, qui d’ailleurs était
un véritable enquiquineur en plus d’être un vieux fossile… Toi, tu crois quoi,
que c’est un argument suffisant pour déclencher une guerre, et aussi horrible
que celle de Troie par-dessus le marché ? Non, sérieusement :ne
jugeons pas Achille selon que la cause de sa mort est juste ou injuste,
jugeons-le à la noblesse de ses actes, la décence et le courage et la
générosité avec lesquels il a agi. Ne faut-il pas en faire autant avec Manuel
Mena ? »
Catégorie métier