Par Ariane
Auteur :
Colin Niel
Titre :
Darwyne
Genre :
roman
Langue
d’origine : français
Editeur :
éditions du Rouergue
Nombre de
pages : 288p
Date de
parution : août 2022
Mon avis :
Troisième roman de Colin Niel que je lis, troisième coup de cœur…
Darwyne a 10 ans, il vit avec sa mère dans un bidonville de
Cayenne. Plus que tout, le petit garçon aimerait que sa mère l’aime et ne plus
la partager avec les beaux-pères de passage. Mais Yolanda ne montre aucune
affection à cet enfant différent, aux jambes tordues et au regard sans cesse
tourné vers la forêt qui borde leur cabane. La forêt, Yolanda l’a en horreur,
elle est terrifiée par cette immensité inconnue et menaçante. Arrive dans leur
vie Mathurine, éducatrice pour les services sociaux, qui mène une enquête après
avoir reçu un signalement de maltraitance. Très vite Mathurine est fascinée par
le lien entre l’enfant et la forêt. Entre cette femme en mal d’enfant et l’enfant
mal-aimé, petit à petit une relation se noue.
Au cœur de ce roman, un enfant. Un personnage étonnant et
attachant, avec une grande part de mystère. Est-ce que Darwyne est simplement
un petit garçon handicapé et solitaire ? Ou est-il un être fantastique,
qui appartient plus à la forêt amazonienne qu’au monde des hommes ? Tout
le temps du roman, il est à la lisière des deux mondes, incapable de choisir. On
ne peut qu’être touché par cet enfant, rejeté par tous à cause de sa différence,
y compris et surtout par celle qu’il aime plus que tout. Mais on peut aussi, et
surtout pour ma part, être fasciné par le lien mystérieux qui unit l’enfant et
la forêt. Darwyne comprend la forêt, mais cette connaissance n’a rien de
théorique. Il ressent, vit la forêt, comme personne, connaît chaque plante,
chaque arbre, chaque créature.
La relation entre Darwyne et sa mère, amour absolu d’un côté
et rejet de l’autre, est douloureuse pour le lecteur. Le garçon représente tout
ce que Yolanda rejette. Elle souhaite une autre vie à ses enfants, qu’ils s’extraient
de la pauvreté, du bidonville et de cette proximité avec la forêt, pour
rejoindre un monde civilisé, vivre dans une vraie maison et avoir un véritable
emploi. Comme l’a fait sa fille aînée. Mais Darwyne la renvoie à une animalité
qui l’effraie, alors elle lui renvoie sa peur sous forme de colère et est prête
à tout pour le (re)dresser.
Si par son travail Mathurine côtoie la pauvreté extrême,
elle ne la vit pas. Passionnée par la forêt, elle s’y réfugie pour oublier le
quotidien, les piles de dossiers d’enfants maltraités et surtout son désir d’enfant.
C’est donc un tout autre regard qu’elle porte sur Darwyne. Elle voit toute la
beauté de cet enfant extraordinaire et cherche doucement à l’apprivoiser.
Yolanda et Mathurine incarnent deux figures maternelles,
mais aussi l’opposition entre deux mondes. Yolanda est le seul lien qui retient
Darwyne dans le monde des hommes, Mathurine le relie encore un peu plus à la
forêt. Encore aujourd’hui, la forêt amazonienne cache de nombreux secrets (pour
info, entre 2014 et 2015, 381 nouvelles espèces animales et végétales ont été
découvertes dans la région amazonienne !). Il y a d’ailleurs une très belle
scène dans laquelle Darwyyne feuillette les livres naturalistes de Mathurine qu’il
trouve bien pauvres. Car lui a vu bien plus dans la forêt. Des plantes, des
animaux, des créatures plus étonnantes encore peut-être qui n’ont jamais été répertoriés.
Cette scène illustre parfaitement à la fois ce qui nous reste à découvrir de la
forêt amazonienne (trésor inestimable malheureusement en grand danger…) et le
mystère lié à ce monde primaire, inconnu, à la fois fascinant et inquiétant. Une
forêt qui semble d’ailleurs douée d’une volonté propre et avancer à la
rencontre de Darwyne. Jonhson, le beau-père n°8, a l’impression que la forêt
pousse plus vite sur leur terrain que sur ceux des voisins. Et il s’interroge.
Est-ce à cause de l’emplacement, de la lumière, de la terre sur leur parcelle ?
Ou y a-t-il une raison plus étrange liée à Darwyne ? Comme ces animaux qui
rôdent près du carbet et s’approchent de l’enfant…
Comme dans les précédents romans que j’ai aimé de l’auteur,
ce nouveau roman mêle à la fois des thématiques sociales très actuelles (ici maltraitances
familiales, pauvreté, condition des immigrés …) et le rapport de l’homme à la
nature. C’est un très beau roman, fort et vibrant,à l'atmosphère envoûtante frôlant parfois le fantastique. Je me suis complétement laissée
porter par l’histoire de cet enfant extraordinaire inspiré d'une légende amazonienne et par cette immersion dans
la splendeur de la forêt.
Extrait :
« Il entend les oiseaux de la nuit, feuler le grand
ibijau, crisser adénomètres, il entend brailler les singes hurleurs, tout
là-bas. Et ne sachant aucun de ces noms-là, ces noms couchés dans les livres
des naturalistes, il les nomme à sa manière, dans sa tête. Et pourtant
conscient que la mère n’aimerait pas le voir ainsi, il reste longtemps à
écouter ce sous-bois plus étendu que la ville elle-même, déployé à l’infini
sous le tapis des cimes. L’Amazonie entière à quelques mètres de sa couchette. »
« La forêt se dresse en bout de clairière, surplombant
le groupe en un mut gigantesque. Un panneau donne quelques indications sur le
sentier pédagogique, son racé, ce qu’on peut y voir, dessins naturalistes à l’appui.
Mélanie commente un peu, Et cet oiseau, quelqu’un peut me dire son nom ?
Les grosses grimacent, secouent la tête. Expression de leur ignorance, la
biodiversité amazonienne comme un continent jamais exploré. Rien d’étonnant,
Mathurine a l’habitude : les pauvres, ils ne connaissent que les bicoques
de tôle et de bois. Et pourtant elle soupire intérieurement. Se dit qu’en
vérité, il y a quelque chose de terrible dans cette coupure entre ces jeunes et
l’immensité du monde vivant qui les entoure. Que c’est l’un des grands drames
de l’humanité moderne que plus personne ne soit capable de mettre un nom sur le
moindre volatile. Que c’est cette ignorance qui pousse les humains à détruire
cette part du monde qu’à présent ils appellent nature, qui a fil des siècles
leur est devenue étrangère. »