Grand prix RTL Lire 2012
Auteur :
Jean-Luc Seigle
Titre :
En vieillissant les hommes pleurent
Genre :
roman
Langue
d’origine :
Editeur :
Flammarion
Nombre de
pages :
Date de
parution : janvier 2012
Présentation de l’éditeur :
9 juillet 1961. Dès le lever du jour, il fait déjà une
chaleur à crever. Albert est ouvrier chez Michelin. Suzanne coud ses robes
elle-même. Gilles, leur cadet, se passionne pour un roman de Balzac. Ce
jour-là, la télévision fait son entrée dans la famille Chassaing. Tous
attendent de voir Henri, le fils aîné, dans le reportage sur la guerre
d'Algérie diffusé le soir même. Pour Albert, c'est le monde qui bascule.
Saura-t-il y trouver sa place ?
Réflexion sur la modernité et le passage à la société de consommation, En
vieillissant les hommes pleurent jette un regard saisissant sur les années
1960, théâtre intime et silencieux d'un des plus grands bouleversements du
siècle dernier.
L'avis d'Ariane
J’ai de la chance cette semaine, puisqu’il s’agit ici de mon
deuxième coup de cœur. Peut-être ai-je tendance à donner trop de coups de cœur ?
Une journée dans la vie d’une famille, une journée qui
pourrait être banale mais qui, au contraire, marquera un tournant dans la vie
de chacun de ses membres. Dès le premier paragraphe, l’on pressent quelle sera
l’issue de cette journée « Albert ne
pensait pas à mourir, il avait juste le désir d’en finir. Mourir ne serait que
le moyen. »
Tous les personnages vont évoluer, grandir, se comprendre
mieux que jamais, se rapprocher ou s’éloigner. J’ai beaucoup aimé la façon dont
l’auteur explore les relations familiales, les non-dits, les incompréhensions
qui règnent.
Certaines scènes sont extrêmement belles. J’ai été très
touchée par la scène de la toilette, ce moment d’intimité, de souffrance et de
douceur entre Albert et sa mère. Que de beauté ! Que d’amour dans ces
gestes !
J’ai également été très émue par l’amour simple et solide
que voue Albert à son fils. Ouvrier et paysan, on pourrait craindre que
celui-ci rejette son jeune fils passionné par les livres. Il n’en est rien. Au
contraire, il est admiratif et fier « ces
deux mots, Poésie et Imagination, venaient d’expulser son fils dans un futur
rempli de choses aussi inconnues que merveilleuses apparemment, mais qui lui
étaient encore plus étrangères que les études d’ingénieur d’Henri. Gilles l’impressionnait ».
Le personnage Albert Chassaing est un personnage extrêmement
attachant. C’est un homme simple et bon, un homme honnête et travailleur. Je
pense que ce personnage a pu rappeler à de nombreux lecteurs un proche. Ce fut
mon cas. A travers les lignes de Jean-Luc Seigle je revoyais mon grand-père.
A travers le portrait de cette famille modeste des années 60,
Jean-Luc Seigle aborde plusieurs sujets de réflexion passionnants. Il explore
tout d’abord le bouleversement opéré par l’apparition de la télévision au sein
des foyers.
En cette journée de juillet 1961, la famille Chassaing
reçoit son poste de télévision. Ils sont les premiers du village à en avoir
une. Voisins et amis se réunissent autour de la télévision, les femmes se sont
faites belles pour l’occasion, l’hôtesse a sorti apéritifs et petits biscuits. Mais
très vite, ils sont absorbés par cette télévision qui coupe court à toute
communication, cette télévision dont la lueur blafarde leur donne l’air de zombies
« l’écran lumineux projeta sur tous
les visages une lumière bleutée, pâle et vacillante. Ils eurent tous plus ou
moins l’air malade ou animés d’une flamme intérieure moribonde ». Cette
télévision qui sonne le glas d’un monde, d’une époque « personne dans cette seconde historique, n’imaginait
les conséquences que cela pourrait avoir par la suite et le chambardement que
cela allait représenter pour tout la société française. ». La
télévision est un tiers qui monopolise l’attention.
La télévision amène un second bouleversement. Elle fait
entraîner l’extérieur à l’intérieur des foyers. Jusqu’alors le foyer était un
lieu protégé. Bien sûr l’actualité rentrait par le biais des journaux ou de la
radio, mais les images donnent une portée différente aux faits « ce fut la première image de guerre qui
entrait dans une maison qui n’était pas en guerre ». Je trouve la
question de ce rapport aux images particulièrement intéressant et bien sûr
totalement d’actualité à une époque où nous sommes assaillis d’images de
violences. Au point qu’elles en deviennent banales.
Autre sujet de réflexion passionnant abordé par l’auteur,
celui de la place de la vérité dans l’histoire. De nombreux évènements historiques
sont méconnus, ou plus exactement mal connus. En 1940, lors de la campagne de France,
les combats font rage le long de la Ligne Maginot. Les soldats français
résistent héroïquement (l’auteur cite des chiffres édifiants : « 22000 soldats français ont vaincu 240000
Allemands en Alsace et en Lorraine ; et seulement 85000 autres soldats
français alpins dans leurs champignons de béton ont arrêté près de 650000
Allemands et Italiens ») mais la capitulation de la France puis l’armistice
font d’eux des perdants. Ces soldats seront envoyés en Allemagne comme
prisonniers de guerre pendant des années et ne rentreront chez eux qu’à la fin
de la guerre. Condamnés au silence « Ses
souffrances de soldat en captivité ne valaient pas grand-chose, même rien. Ne
rien dire. Ne pas parler. Supporter sur ses épaules la défaite française ».
Et c’est cette honte du perdant qui tue à petit feu Albert, comme une balle imaginaire
logée près de son cœur.
L’écriture de Jean-Luc Seigle est belle, des phrases sont
limpides et accrochent dès les premières lignes du roman.
Un roman beau et intelligent. Une magnifique découverte. Merci
Daphné d’avoir choisi ce livre !
Extrait choisi par Ariane :
« Quelque chose
trembla en lui qu’il ne connaissait pas, qu’il n’avait jamais ressenti et qui le
débordait. Ça hérissait les poils, ça frissonnait sous sa peau, de la plante de
ses pieds jusqu’à la racine de ses cheveux. Les larmes inondèrent ses yeux
noirs en même temps qu’il s’avouait son admiration pour son gamin. C’était
effrayant. Il hoquetait comme un enfant et eut peur que les soubresauts de son
corps qu’il ne maîtrisait pas réveillent Suzanne. In extremis, il réussit à
ravaler ses pleurs sous ses paupières et à les manger dans ses yeux. Ça le
brûlait tellement qu’au moment où il les rouvrit il crut avoir perdu la vue. Il
n’en revenait pas de ce séisme au-dedans, lui qui ne versait jamais une larme,
pas même aux enterrements, pas même à l’enterrement de son père. Un homme qui
pleure, ça n’avait pas de sens. Sauf parfois les vieux. »
L'avis de Daphné
Quelle belle lecture! J' ai refermé ce livre avec beaucoup d'émotion.
En 1961, Albert Chassaing se réveille avec, comme souvent, l'idée de mourir. Ce roman nous raconte cette journée, une journée, somme toute semblable à tant d'autres si ce n'est qu'un événement exceptionnel fait son entrée dans la vie de la famille : l'arrivée de la télévision.
Nous suivons donc cette journée aux côtés d'Albert, chaque chapitre représentant un moment de la journée. Au fil des heures, Albert nous livre ses sentiments sur son mariage, sur sa vie de famille, sur l'évolution du monde, sur lui-même... Ainsi, il observe sa famille, accordant dans ses pensées une place à chacun, ce qui nous permet d'explorer des relations familiales complexes, faites d'incompréhension mais d'amour également. Un amour parfois discret mais si profond.
C'est aux cours de cette journée qu’Albert redécouvre sa mère, probablement atteinte de la maladie d’Alzheimer dans une scène magnifique et intime, pleine de pudeur et de respect durant laquelle il lui fait sa toilette. Certaines paroles de sa mère à ce moment là prendront sens quelques heures plus tard à travers ce que Liliane, la sœur d'Albert lui révèle.
Les pensées d'Albert tournent également beaucoup autour de son fils, Gilles, petit garçon épris de lecture qu'Albert, ouvrier et paysan, loin du monde de la littérature, cherche à comprendre et à qui il trouvera un "tuteur" pour lui permettre d'assurer son avenir. Ce personnage du "tuteur", monsieur Antoine, est d'ailleurs particulièrement intéressant. Ces paroles, pleine de sagesse à propos du temps, de l'histoire, m'ont particulièrement touchée. Par ces paroles, entre autres, se pose alors la question de la transmission. Que transmet-on et de quelle manière? Quelle est notre relation aux autres, à nos proches, à l'Histoire?
Nous apprendrons aussi beaucoup sur les relations qui lient Albert à sa sœur Liliane et à sa femme, Suzanne. Si Albert est un "taiseux" qui ne parvient guère à mettre des mots sur ce qu'il ressent, ce roman nous livre ses pensées et ses sentiments à l'état brut, avec une force renversante. Je n'ai pu que m'attacher à ce personnage, un homme simple et honnête qui cherche sa place dans ce monde. Un monde, qui change, qui évolue. Ainsi, l'arrivée de la modernité que recherche Suzanne? et notamment celle de la télévision? est un immense bouleversement. Un bouleversement tel qu'il permet à la guerre de faire irruption dans la maison de famille avec une violence inhabituelle...la racine du mot "télévision" ( "télé" , mot grec exprimant une action qui se passe au loin, au delà) prend ici tout son sens. En effet, si Albert a connu en direct la seconde guerre mondiale, la guerre d’Algérie quand à elle, lui paraissait particulièrement lointaine...jusqu'à en voir les images dans cette fameuse télévision. Images qui bouleversent, images qui s'introduisent dans le quotidien, rendant la guerre réelle. Qu'elle paraît loin cette époque, pourtant si proche encore où ce qui bouleversait nous paraît aujourd'hui presque "normal" nous qui sommes tant habitués aux images de violence. Banalise t-on cette violence aujourd'hui pour trop la voir au travers d'un écran?
Jean-Luc Seigle rend également un hommage vibrant aux soldats combattants de la Ligne Maginot, en nous révélant une part méconnue de l'Histoire.
"En vieillissant, les hommes pleurent" est un livre magnifique qui aborde avec simplicité, pudeur et justesse des thèmes telles que les relations familiales, la vieillesse, la vérité, la guerre, les changements de la société, la transmission, la littérature, le mal-être...Un beau livre!
Extrait choisi par Daphné :
"En finir le libérerait de tout ça. Albert ne pensait pas à mourir, il avait juste le désir d'en finir. Mourir ne serait que le moyen.
Ce n'était pas la première fois qu'il se réveillait avec cette idée en tête. Y avait-il plus de raisons de le faire que les autres jours, ou seulement quelque chose de plus apaisant ce matin à se laisser envahir par cette idée ? Quand ça avait-il commencé ? Y avait-il eu un temps dans sa vie où ça n'avait pas été en lui ? Peut-être, après la mort de son père quand il s'était retrouvé seul avec sa mère et sa petite sœur. C'était si loin. Il avait quinze ans. C'était en 1923. Et nous étions en 1961. Des joies, Albert en connaissait encore, des petits bonheurs de rien du tout, des impressions fugaces et impartageables. La rosée qui exhale l'odeur de la terre. Il n'aimait rien plus que cette odeur préhistorique quand il rentrait de l'usine le matin très tôt après une nuit dans l'enfer des pneus. Le chant des oiseaux ressuscites après l'hiver dans le cerisier, ou encore cette façon que le vent a de transformer un champ de blé en houle jaune et sèche. Il aimait tous ces minuscules plaisirs et d'autres encore que Suzanne n'aimait pas, avoir les ongles noirs, transpirer comme un bœuf et sentir l'odeur des vaches et du fumier. C'était la première fois qu'il pensait au bonheur en même temps qu'à l'idée d'en finir. Peut-être parce que ce désir de la fin était ancré en lui depuis très longtemps, comme une balle qui se serait logée dans son corps sans le tuer. Il avait connu un gars, Armand Delpastre, qui avait longtemps vécu avec une balle allemande dans le cerveau et qui disait tout le temps «Moi, le métal, ça me connaît !», puis il partait d'un grand éclat de rire laissant apparaître toutes ses dents en or. Un marrant, ce Delpastre. Tout alla bien jusqu'au jour où la balle, en temps de paix, acheva sa trajectoire ; un seul millimètre suffit pour le tuer dans son sommeil. Chez Albert, la balle imaginaire s'était logée tout près du cœur."
L'avis de Mimi
L'avis de Mimi
décidément, les romans de M.Seigle me font très envie!! tu m'as convaincue :-)
RépondreSupprimerTant mieux ! C'est le genre de livre qui donne envie d'être partagé.
SupprimerAriane
j'ai pleuré à sa lecture..
RépondreSupprimerJe dois avouer que...
SupprimerAriane
Je l'avais noté après une rencontre avec l'auteur (fort sympathique) et puis je l'ai un peu perdu de vue. Je le re-note, d'autant qu'il est en poche maintenant.
RépondreSupprimerJ'espère lire ton avis bientôt.
SupprimerAriane
Beaucoup d'émotion pour moi également à cette lecture...
RépondreSupprimerDaphné
Ah !!! J'ai enfin trouvé cet avis. Je ne suis pas déçue d'avoir persévéré en tournant une à une les pages de votre blog. Ce livre me tentait déjà avant de lire vos avis enthousiastes et somme toute complémentaires, il ne me reste plus qu'une chose à faire, me procurer En vieillissant les hommes pleurent de toute urgence et partager votre émotion.
RépondreSupprimerQuelle sera votre prochaine lecture commune ?
J'espère qu'il te plaira autant qu'à nous.
SupprimerNotre prochaine lecture commune pour le mois de mars sera L'île des oubliés de Victoria Hislop.
Ariane
grace a toi ce livre et auteur m'intrigue.
RépondreSupprimerUn auteur à découvrir !
SupprimerAriane