mardi 3 février 2015

Le mur invisible - Marlen Haushofer

Par Ariane



Auteur : Marlen Haushofer

Titre : Le mur invisible

Genre : roman

Langue d’origine : allemand

Traducteur : Liselotte Bodo et Jacqueline Chambon

Editeur : Babel

Nombre de pages : 342p

Date de parution : avril 1992



Présentation de l’éditeur :

Voici le roman le plus célèbre et le plus émouvant de Marlen Haushofer, journal de bord d’une femme ordinaire, confrontée à une expérience-limite. Après une catastrophe planétaire, l’héroïne se retrouve seule dans un chalet en pleine forêt autrichienne, séparée du reste du monde par un mur invisible au-delà duquel toute vie semble s’être pétrifiée durant la nuit. Tel un moderne Robinson, elle organise sa survie en compagnie de quelques animaux familiers, prend en main son destin dans un combat quotidien contre la forêt, les intempéries et la maladie. Et ce qui aurait pu être un simple exercice de style sur un thème à la mode prend dès lors la dimension d’une aventure bouleversante où le labeur, la solitude et la peur constituent les conditions de l’expérience humaine.

Mon avis :

Quel bonheur que ce livre !

L’on pourrait craindre une certaine lassitude à lire le récit quotidien d’une femme, peut-être dernière survivante de l’humanité, pendant plus de 300 pages. Un quotidien fait de travaux agricoles ou ménagers, de soins aux animaux, de promenades dans la forêt, de chasse, de solitude,… Et pourtant c’est passionnant.

La femme prend la plume pour décrire son quotidien. Pas de chapitres, ni de dates, elle tient son journal d’un seul tenant. Mais ce n’est absolument pas pesant. Elle s’exprime bien entendu à la première personne mais jamais ne dit son nom. Pour quoi faire d’ailleurs ? Dernière survivante de l’humanité elle a perdu son nom en même temps que tout le reste puisqu’il n’y aura plus jamais personne pour le dire. Sans nom, sans visage cette femme pourrait être n’importe qui. Sans nom, sans visage, cette femme ne perd-elle pas un peu de son humanité finalement ? D’ailleurs, ses relations avec ses animaux ne sont pas des relations d’humain à animal. C’est une relation d’amitié, presque familiale, et finalement d’égal à égal. « J’oubliai complètement que Lynx était un chien et pas un homme. Je le savais, mais cette distinction n’avait pour moi plus aucun sens. »Elle semble souvent prêter une compréhension humaine à ses animaux. Ou finalement, vivant seule à leur contact a-t-elle appris à voir ce que nous ne voyons pas ?

Sous la plume talentueuse de Marlen Haushofer, les animaux ne sont pas que des animaux. Elle leur donne une véritable personnalité, ils sont des personnages à part entière. Elle décrit magnifiquement des attitudes, des personnalités, des comportements. Chacun a sa personnalité bien marquée : la douce Bella, l’indépendance chatte, la jolie Perle, l’intrépide Tigre, le fidèle Lynx, le confiant Taureau. A travers eux, sont évoqués tous les moments de la vie : le désir, la grossesse, la naissance, la maternité, l’enfance, la mort. Certains passages sont vraiment magnifiques. La relation de Bella avec son jeune veau est très émouvante, pleine de douceur et de tendresse, dans leur étable mère et fils vivent dans « une petit île de félicité, remplie de la tendresse et du souffle chaud des animaux. ».

La femme distille au fur et à mesure de son récit des bribes d’informations sur sa vie, mais son passé semble lâcher prise sur elle. Durant les deux années écoulées entre l’apparition du fameux mur et le début de son journal, la femme a beaucoup changé. Elle n’a plus rien à voir avec la femme qu’elle était. Elle a tué le temps comme elle le dit, il n’y a plus ni date, ni heures. Elle vit désormais au rythme du soleil, des saisons et des animaux. Elle se détache progressivement de son ancienne humanité en tant qu’être social. En devient-elle plus ou moins humaine ?

Son attitude au départ intrigue, elle accepte relativement facilement la présence du mur et la mort de tous les êtres vivants de l’autre côté, y compris ses enfants. Elle organise sa survie sans se poser trop de questions :

« Le mur est devenu à ce point une partie de ma vie qu’il m’arrive d’oublier d’y penser pendant des semaines, et les fois où j’y pense, in ne me semble pas plus mystérieux qu’un mur de briques ou une clôture de jardin qi m’empêcherait de passer. Et d’ailleurs qu’a-t-il de si particulier ? D’être un objet fait d’une matière dont je ne connais pas la composition ? De tout temps j’ai eu affaire à des objets de ce genre. Le mur m’a obligée à commencer une vie complètement nouvelle mais ce qui me touche ce sont toujours les mêmes choses qu’avant : la naissance, la mort, les saisons, la croissance et le déclin. Le mur n’est ni mort ni vivant, en vérité il ne me concerne pas, et c’est pourquoi je ne rêve pas de lui. »

Mais la tristesse la rattrape finalement, et je m’en suis sentie soulagée.

L’écriture de Marlen Haushofer m’a totalement charmée. Une plume très légère, féminine, à aucun moment pesante. Elle décrit avec énormément de talent la nature, le cycle des saisons. Il ressort beaucoup de beauté, de paix et d’harmonie de ce roman. Il serait dommage qu’il faille la fin de l’homme pour cela.

A aucun moment la présence du mur (et la mort de tous les êtres vivants en dehors du coin de montagne où vit la narratrice) n’est expliquée. La femme ne fait que des suppositions, elle juge l’homme responsable (un fou ? une expérience militaire ayant mal tourné ?) et elle a sans doute raison. « Les hommes avaient joué leurs propres jeux qui s’étaient presque toujours mal terminés. »Ce roman a été écrit dans les années 60, en pleine guerre froide, et est très représentatif des craintes de cette époque : la folie de l’homme détruira un jour le monde. Et cette petite touche effrayant jette parfois un trouble sur la petite vie paisible de la femme. Car avec elle s’achèvera l’humanité, avec ses animaux et elle toute vie aura disparu de la terre. Et tout au long du récit on s’interroge : pourquoi ? Finalement pourquoi chercher à survivre quand il n’y a pas d’avenir ? L’instinct de survie est-il si puissant que cela ? Ou reste-t-il toujours une minuscule, une infime trace d’espoir ?

Je ne connaissais pas du tout cette auteure et je suis époustouflée par son talent. C’est un roman marquant que je n’oublierai pas. Une vraie petite merveille que je ne peux que conseiller.

J’ai découvert ce livre il y a quelques mois sur le blog de Clara, son avis m’avait interpellée et j’ai bien fait de suivre son conseil de lecture. Merci !



Extrait :
"Comme c'était beau ces jours-là d'aller dans les bois avec Lynx. Les petits flocons se posaient sur mon visage, la neige crissait sous mes pas, j'entendais à peine Lynx derrière moi. Je contemplais nos traces dans la neige, mes lourds talons et les fines empreintes du chien. L'homme et le chien réduits à leur plus simple expression."

Lu dans le cadre des Challenges Tour du monde en 8 ans et Voisins, voisines : l'Autriche 

L'avis de Keisha, Professeur Platypus, Sandrion,

9 commentaires:

  1. J'ai été captivée par le film vu récemment à la télé, je m'attaquerai tôt ou tard au livre.

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    1. Je pense le regarder bientôt, même si la plupart du temps je trouve les adaptations décevantes par rapport aux livres.
      Ariane

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  2. A chaque fois j'oublie de l'emprunter! Il se trouve dans le magasin de la bibli, voilà pourquoi. Mais que d'avis enthousiastes!

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  3. Je n'avais jamais entendu parler de ce livre mais tu me donnes envie de le lire.
    Daphné

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  4. Ils en ont parlé à La grande librairie cette semaine ou la semaine dernière (je ne sais plus). Cette histoire de mur invisible ne rend-t-elle pas le livre trop étrange ?

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    1. En fait non. L'héroïne accepte la présence du mur et si habitue plutôt facilement. S'en est même déconcertant.
      Ariane

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  5. Voilà un livre singulier que j'ai découvert grâce à la blogo l'année dernière . C'est un livre é trange qui ne se laisse pas oublier...

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    1. On fait vraiment de merveilleuses découvertes grâce aux blogs.
      Ariane

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