Auteur :
Melania G. Mazzucco
Titre :
La longue attente de l’ange
Genre :
roman
Langue
d’origine : italien
Traducteur :
Dominique Vittoz
Editeur :
Flammarion
Nombre de
pages : 445p
Date de
parution : août 2013
Présentation de l’éditeur :
Venise à la fin du XVIe siècle. Le Tintoret, peintre
volcanique, anticonformiste et plein d’ambition, s’est battu par tous les moyens
pour asseoir sa réputation. A l’approche de la mort, il s’interroge sur son
existence en tant qu’artiste et sa vie familiale mouvementée. Au cœur de ses
pensées se trouve sa fille illégitime adorée, qui a appris la musique et la
peinture à ses côtés : Marietta, l’incarnation de ses rêves et son œuvre la
plus réussie. Dans une Sérénissime au décor singulier se nouent une foule
d’histoires merveilleuses habitées par des personnages inoubliables, parmi
lesquels se détache la figure solitaire et émouvante de Marietta.
Mon avis :
Un grand maître de la peinture italienne du XVIème siècle,
Venise, l’amour d’un père pour sa fille, une figure féminine hors normes,…
Voilà les ingrédients principaux de ce roman.
Dans les derniers jours de sa vie, Jacopo Robusti dit le
Tintoret, se souvient de sa vie en s’adressant à Dieu. De son enfance et sa
fascination pour les couleurs auprès de son père teinturier, de ses débuts dans
la peinture, de son rejet par le Titien, de ses années de misère, de ses
premiers succès, de sa célébrité, de son art,… Il évoque aussi sa soif de
reconnaissance :
« Pourtant un
artiste connaît le vrai succès quand le public l’appelle par son prénom. Cette
familiarité n’est pas une marque d’intimité, mais au contraire de respect. On
ne l’appelle pas par son prénom comme un frère ou un ami, parce qu’on a l’impression
de le connaître, mais comme un roi. Les plus grands artistes n’ont pas besoin
de nom de famille, encore moins de surnom. Je rêvais du jour où les gens
diraient Jacomo comme ils disaient Raphaël, Titien, Michel-Ange. »
J’ai beaucoup aimé découvrir le contexte de création de ces œuvres,
non seulement le contexte historique mais aussi dans la vie personnelle de l’artiste.
Car à ces œuvres sont attachés des souvenirs, des moments clés de la vie
familiale du Tintoret. J’ai trouvé particulièrement intéressant de resituer ces
œuvres dans la vie d’un homme, voir justement l’homme derrière l’artiste.
Mais ce sont surtout ses relations avec ses enfants qui lui
reviennent en mémoire. Le Tintoret eut huit enfants légitimes. Il se souvient de chacun d’eux,
même si certains ne semblent pas compter énormément pour lui, notamment ses
quatre filles.
Mais la figure la plus importante dans la vie du Tintoret
est sa fille illégitime Marietta, née de sa relation avec une prostituée
quelques années avant son mariage. Jacomo voue un amour sans limites à sa fille. Marietta servira de modèle pour plusieurs œuvres majeures de son père, notamment pour La présentation de la Vierge Marie au Temple qui se trouve à l'église de la Madonna dell'Orto :
Cette relation est fusionnelle, passionnelle, limite incestueuse. Les
sentiments que le Tintoret éprouve pour sa fille ne sont pas seulement
paternels et l’auteur emprunte régulièrement au vocabulaire amoureux. Je dois
avouer que cela m’a un peu mise mal à l’aise. Pour elle il n’hésitera pas à
braver les conventions. Il fera de sa petite fille son apprentie, la
travestissant en garçon pendant son enfance et son adolescence, l’appelant
alors Gabriel. Il lui donnera pinceaux et couleurs, lui apprendra à peindre et
la laissera vivre comme aucune autre femme de Venise ne vit. Marietta aura
droit à l’éducation et à une certaine liberté de mouvements et de paroles. Marietta,
peintre et musicienne, est une figure féminine exceptionnelle. La Tintoretta, comme elle était surnommée, fut réputée pour ses portraits et invitée à la cour de Philippe II d'Espagne et de l'empereur Maximilien. Elle mourut à l'âge de 36 ans, et son père ne se remit jamais de la mort de la jeune femme. L'ange c'est elle, attendant que son père la rejoigne.
Nulle liberté pour les autres femmes de la famille du Tintoret.
Les hommes décident de leur vie, de leur avenir, de leur destin. Les femmes n’ont
aucun choix « Tu dois sois te marier
sois prendre le voile. Si tu veux vivre en marge et t’amuser quelques années,
être utilisée puis jetée comme une vieille chaussette, alors fais-toi putain.
Il n’y a pas d’autre choix. »La jeune Faustina n’a qu’une douzaine d’années
lorsqu’elle épouse le Tintoret qui a dépassé les trente-cinq ans. Le Tintoret
décide que ses filles légitimes seront religieuses et peu lui importe que le
seul rêve de sa fille Ottavia soit d’être une épouse et une mère. J’ai été
particulièrement émue par la supplique de la jeune fille :
« Je veux une famille
à moi (…) Je veux être une bonne épouse et une mère attentionnée, je suis
prête, chaque mois je suis prête, ma vie est gaspillée, père, je ne veux pas
être peintre, je ne veux pas être chanteuse ni musicienne ni artiste de cour,
je me moque de la gloire, je ne veux pas être célèbre – je ne suis qu’une
femme, cela me suffit et c’est déjà beaucoup, je ne voudrais jamais autre
chose, pourquoi m’en empêches-tu, pourquoi me prives-tu de mon seul rêve ? »
Mais finalement, pas vraiment de liberté pour les fils de l'artiste. Si les filles sont prisonnières de leur condition féminine, les fils sont prisonniers de l'ombre de leur père. Ils ne sont que les "fils de", condamnés à rester dans l'ombre. Si Dominico le bon fils accepte son destin et renonce à son rêve de poésie, Marco se rebelle et Giovanni cherche à s'émanciper.
Mais finalement, pas vraiment de liberté pour les fils de l'artiste. Si les filles sont prisonnières de leur condition féminine, les fils sont prisonniers de l'ombre de leur père. Ils ne sont que les "fils de", condamnés à rester dans l'ombre. Si Dominico le bon fils accepte son destin et renonce à son rêve de poésie, Marco se rebelle et Giovanni cherche à s'émanciper.
Venise est la toile de fond de cette fresque familiale, artistique
et historique. L’auteur revient sur les grands événements contemporains du
Tintoret : la peste, la guerre contre les Trucs, l’incendie du palais des
doges,… Sur les pas du Tintoret nous explorons la ville et ses canaux,
pénétrons dans les églises, les monastères et le palais des doges ; admirons
les œuvres des plus grands peintres. L’auteur dépeint aussi bien la vie
quotidienne que les fêtes, le petit peuple que les familles aristocratiques, la
vie culturelle et les commerces,… Bref une représentation complète et vivante de
Venise à cette époque.
En revanche, j’ai trouvé le style de l’auteur un peu lourd
par moment. J’ai mis plus de temps que d’ordinaire à lire ce livre qui pourtant
me passionnait. J’aime beaucoup sa façon de parler du Tintoret « un homme qui se salit les mains avec des
couleurs, avec l’incandescente matière des rêves. »
Un roman à découvrir pour ceux qui aiment l’art et Venise.
Quelques œuvres du Tintoret
et un auto-portrait de Marietta
Extrait :
« Les curieux se pressent chez les artistes. Ils essaient
de découvrir leur secret. Ils regardent nos humbles instruments de travail –
qui se résument au fond à de simples baguettes de bois, des étoffes rêches, des
poils fournis par les naseaux, les oreilles et le cul d’animaux fort sales – et
nous questionnent sur nos manies, nos rites : comme si, en nous imitant,
ils pouvaient s’approprier aussi notre capacité de créer. »
Lu dans le cadre des challenges Voisins, voisines et Tour du monde en 8 ans pour l'Italie, Un pavé par mois et Petit bac dans la catégorie Taille
Un livre qui pourrait beaucoup m'intéresser :)
RépondreSupprimerBeaucoup de choses passionnantes dans ce livre malgré l'écriture de l'auteure que j'ai jugée un peu lourde (l'écriture hein, pas l'auteur !).
SupprimerAriane
C'est toujours intéressant ce type de roman pour en apprendre sur le peintre et son oeuvre, merci pour la découverte !
RépondreSupprimerJe trouve aussi passionnant de découvrir un peu mieux de grands artistes.
SupprimerAriane