mardi 10 mars 2020

Le peuple de l'abîme - Jack London

Par Ariane


Auteur : Jack London

Titre : Le peuple de l’abîme

Genre : récit autobiographique

Langue d’origine : français

Editeur : Robert Laffont, collection bouquins

Mon avis :

Je retrouve Jack London pour un texte très différent une fois encore de mes précédentes lectures.

Pendant l’été 1902, Jack London passe quelques mois à Londres, dans l’East End miséreux. En immersion auprès des plus pauvres, il observe le quotidien des exclus, des chômeurs, des clochards, des vieux et des infirmes. London a déjà pas mal bourlingué et partagé le quotidien des ouvriers ou des vagabonds aux Etats-Unis. Pourtant, il ne s’attend pas à la misère crasse qu’il découvre dans la capitale la plus riche du monde.

Dans ce récit, London nous livre une observation brute et complète de la vie du quartier et de ses habitants. Sans filtres, London donne littéralement à voir les asiles sordides, la nourriture immonde, les associations charitables qui tirent profit des miséreux en leur offrant un croûton de pain et une paillasse contre des heures de travail harassant. L’épuisement, la solitude, la souffrance quotidienne, même plus la force d’avoir peur ou de penser. London ne nous épargne pas, son récit est une enquête solide s’appuyant autant sur ses observations que sur divers documents. Ainsi lorsqu’il cite sur plusieurs pages, entre stupeur et dégoût, les jugements rendus par les tribunaux sur quelques jours. L’on s’aperçoit avec surprise que les vols ou escroqueries sont plus sévèrement punis que les crimes contre les personnes…  

« Tribunal de simple police de Glasgow :
- A comparu devant le bailli Dunlop Edward Morrison, un jeune garçon reconnu coupable d'avoir volé quinze poires dans un camion stationné devant la gare. Huit jours de prison.

Sessions du tribunal de la ville de Salisbury :
- Devant le maire, MMs C Hoskins, G. Fullord, E. Alexander, a comparu James Moore, accusé d'avoir volé une paire de bottes à l'extérieur d'une boutique. Trois semaines de prison.

Tribunal de simple police de Worsop :
- Devant le révérend Massinberg, le révérend Graham et Mr Lucas Calcraft a comparu George Brackenbury, un jeune travailleur, accusé de ce que les juges ont caractérisé comme "voies de fait brutales et sans provocation" sur la personne de James Sargent Foster, un vieillard de plus de soixante-dix ans. Condamné à 1 livre d'amende, plus cinq shillings et six pence de frais. »

Mais c’est aussi un cri du cœur, le cri de révolte d’un homme qui ne peut accepter l’indifférence générale dans laquelle vivent ces hommes et ces femmes.

C’est le premier récit que je lis de Jack London et encore une fois je suis soufflée par l’intelligence de son propos, la qualité de son écriture et l’humanité de sa voix. Le cœur, l’esprit et la force, cet homme-là avait tout !



Extrait :

« Les hommes dépendent économiquement de leurs patrons, comme les femmes dépendent économiquement de leurs hommes. Le résultat c'est que les femmes reçoivent les raclées que les hommes devraient donner à leurs patrons, et sans avoir le droit de se plaindre. »



« Ce qui est étonnant, aussi, c'est le manque de coeur des gens qui croient au Christ, qui vénèrent Dieu, et vont régulièrement à l'Eglise chaque dimanche. Le reste de la semaine , ils se démènent comme de vrais diables pour faire rentrer des loyers et bénéfices qui leur arrivent tout droit de l'East End, entachés du sang des enfants du Ghetto. Mais paradoxalement, tandis qu'ils rançonnent d'une main les enfants des pauvres, ils n'hésitent pas à envoyer, de la main qui leur reste libre, un demi-million qu'ils prélèvent de ces mêmes loyers et ces mêmes bénéfices, pour l'éducation des enfants noirs du Soudan. »



« Les déchets et les inutiles ! Le misérable, celui que l'on méprise ou bien que l'on oublie, s'en vient mourir dans cet abattoir social, résultat de la prostitution. Prostitution de l'homme, de la femme, de l'enfant, de la chair et du sang, de l'intelligence, de l'esprit - prostitution du travail. Si c'est là tout ce que la civilisation peut offrir à l'homme, alors cent fois l'état sauvage, la nudité et la brousse, cent fois la tanière et la caverne, plutôt que cet écrasement par la machine, et par l'Abîme. »



« Dans une civilisation aussi matérialiste, fondée non pas sur l'individu mais sur la propriété, il est inévitable que cette dernière soit mieux défendue que la personne humaine, et que les crimes contre la propriété soient stigmatisés de façon plus exemplaire que ceux commis contre l'homme. Si un mari bat sa femme, s'il lui arrive de lui casser quelques côtes, tout cela n'est que du très banal, comparé au fait de dormir à la belle étoile parce qu'on n’a pas assez d'argent pour rentrer à l'asile. Le gosse qui vole quelques poires à une très florissante compagnie de chemin de fer constitue une bien plus grande menace contre la société que la jeune brute qui, sans aucune raison, se livre à des voies de fait contre un vieillard de plus de soixante-dix ans »


« Il n’y a pas d’erreur. La civilisation a multiplié la productivité par cent, et par suite d’une gestion calamiteuse, l’homme civilisé est ravalé au rang de la bête. Il est moins bien nourri et moins bien protégé des éléments qu’un Inuit qui vit aujourd’hui, malgré la rigueur du climat, comme à l’âge de pierre, il y a plus de dix mille ans."



8 commentaires:

  1. London ce génie ! J'adore tout ce qu'il a publié.

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    1. Tout ce que j'ai lu est excellent ! Un auteur insuffisamment reconnu.

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  2. J'avais adoré son reportage...

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  3. Où sont les Jack London d'aujourd'hui ?

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  4. Je vais le lire pour le challenge Jack London. Je vois qu'il a l'air vraiment intéressant. Cela me motive !

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    1. Un texte vraiment intéressant, un travail de journaliste font devraient s'inspirer certains...

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