Affichage des articles dont le libellé est rentrée littéraire 2019. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est rentrée littéraire 2019. Afficher tous les articles

samedi 8 août 2020

La chaleur - Victor Jestin

Par Ariane


Auteur : Victor Jestin

Titre : La chaleur

Genre : roman

Langue d’origine : français

Editeur : Flammarion

Nombre de pages : 144p

Date de parution : août 2019

Mon avis :

Alors que la rentrée littéraire approche à grands pas, je rattrape un peu de retard de lecture avec ce premier roman surprenant et dérangeant.

Dans un camping des Landes, écrasé par la chaleur, Léo, 17 ans traîne son ennui et son mal-être en attendant la fin du séjour. Il observe de loin, avec envie et dédain à la fois, l’insouciance des autres jeunes. Et c’est encore en spectateur qu’il assiste à la mort d’Oscar, un adolescent de son âge, étranglé par les cordes d’une balançoire sur le terrain de jeu. Suivra ensuite une décision irréfléchie et incompréhensible…

C’est un roman très court, mais d’une intensité surprenante. Le personnage de Léo, cet adolescent timide et mal dans sa peau, qui a pris la pire des décisions possible, est criant de réalisme. Entre dégoût de lui-même et dégoût des autres, il observe avec un certain cynisme la joie surjouée, l’ambiance forcée du camping, l’injonction à s’amuser. Il y a une vraie fragilité dans ce personnage incapable de s’adapter, son inadaptation à son entourage n’a d’ailleurs pas été sans me rappeler certains souvenirs.

Souvenirs du camping notamment que Victor Jestin raconte parfaitement. Comme j’ai détesté moi aussi cette promiscuité, le bruit de fond persistant des conversations et des radios, les odeurs de viande grillée, la chaleur étouffante sous la tente, les sanitaires… J’en frémis encore…

L’efficacité du roman de Victor Jestin ne réside pas uniquement dans sa capacité à rendre vivants le paysage et le personnage qui déploie devant nos yeux, mais également dans la force de l’histoire qu’il imagine. Léo nous raconte ses actes et ses pensées dans les heures suivant le drame, le sentiment de culpabilité et le dilemme moral alors même que la jeunesse et ses espoirs se rappellent à lui. Une grande force dans ces quelques pages, dont l’on ressort avec une impression de malaise, qui ne disparaît pas de sitôt.

Un premier roman très efficace, mené d’une main de maître par un jeune auteur prometteur et dont je ne m’étonne pas qu’il ait reçu le Prix Femina des lycéens 2019 et le prix de la Vocation 2019.


Extrait :

«Oscar est mort à cause de moi qui n'ai pas bougé, et je n'ai pas bougé car à cet instant je ne pouvais pas, je préférais mourir, comme lui, et nous nous sommes regardés mourir l'un l'autre, pendant que les autres dansaient. »


« Le faux calme des pins, le fracas des vagues dont on sait bien qu'elles ont déjà tué, et tous ces rires et cris de jouissance mêlés en un même écho sourd, comme dans les hangars mal éclairés des piscines à vagues pleines de chlore et d'angoisse. »


 « Dehors, les gens m'ont regardé en ricanant comme des hyènes. Je les ai trouvés tous immondes, avec leurs serviettes de couleur autour de leurs corps flasque, maigres, musclés, tous bronzés jusqu'aux oreilles, heureux de se laver avant l'apéro, heureux d'être heureux et pourtant tous tristes et seuls dans la foule tout aussi seule de ce camping aux trois étoiles pourries »

samedi 13 juin 2020

Les prisonniers de la liberté - Luca di Fulvio

Par Ariane


Auteur : Luca di Fulvio

Titre : Les prisonniers de la liberté

Genre : roman

Langue d’origine : italien

Editeur : Slatkine & Cie

Nombre de pages : 654p

Date de parution : septembre 2019

Mon avis :

Dès ma première lecture de cet auteur avec Les enfants de Venise, il s’est imposé à moi comme un auteur incontournable, et c’est avec un plaisir chaque fois renouvelé que je le retrouve. Après la fin de sa trilogie, il nous emmène cette fois à Buenos Aires.

Trois personnages débarquent dans la ville un matin de 1913. Rosetta, paysanne sicilienne a été contrainte de fuir son village après avoir été injustement accusée de vol et de tentative de meurtre par le notable local. Rocco, sicilien lui aussi, a quitté Palerme car il refuse de devenir mafieux comme son père. Rachel et les autres jeunes filles de son village, juives russes, ont quitté leur village attirées par la promesse d’une vie nouvelle mais se sont retrouvées prisonnières d’un réseau de traite des blanches.

On pourrait reprocher à Luca di Fulvio d’avoir trouvé un créneau et d’écrire toujours la même histoire. Car il faut bien le reconnaître, tous ces romans se ressemblent un peu (beaucoup en fait). On y trouve des gentils très gentils, à qui il arrive de nombreux malheurs à cause de méchants très méchants, mais on s’en doute tout va bien se terminer puisqu’après tout ils sont jeunes et beaux. En fait on retrouve toujours la même galerie de personnages : la belle et courageuse jeune femme, le beau et fier jeune homme, le noble dégénéré et sadique, le criminel cruel et terrifiant, un autre criminel charmeur et pas si méchant, un homme de main sans scrupules, une femme qui devient la mère de substitution des héros, un bougon au grand cœur, des gamins des rues,… Bref, beaucoup de clichés il faut bien le dire.

Mais… mais ça marche ! Nous voici dans les rues de Palerme, dans un petit village sicilien, dans un shetl russe, sur un bateau, dans les quartiers pauvres de Buenos Aires… Luca di Fulvio est un formidable conteur, qui ne ménage pas ses personnages. Rosetta, Rachel et Rocco subiront de terribles épreuves pour pouvoir enfin gagner leur liberté. Tous trois ont en commun cette volonté d’échapper au destin qui leur était promis par leur naissance (être une épouse soumise pour Rosetta et Rachel, devenir un mafieux pour Rocco) et de tracer leur propre voie.

Une fois de plus, Luca di Fulvio reprend les thèmes qui lui sont chers : l’oppression, la justice, la pauvreté, les violences faites aux femmes… Parlons-en des violences faites aux femmes… Celles-ci sont omniprésentes. Qu’il s’agisse de la violence du poids des traditions, des violences physiques et conjugales, ou des violences sexuelles, elles sont omniprésentes. Certains passages sont très difficiles, je pense par exemple à la façon dont sont traitées les jeunes filles emmenées à Buenos Aires pour y devenir esclaves dans les bordels. Ces toutes jeunes filles, à qui l’ont promet un beau mariage et une vie heureuse, basculent dans un véritable cauchemar. Elles ont été victimes d’une mafia juive appelée la Varsovia. Si l’on connaît relativement bien la mafia italienne dans la littérature ou le cinéma, les ignobles activités de la Varsovia (plus tard renommée Zwi Migdal) le sont moins.

Alors, même si les personnages sont caricaturaux, même si les ficelles sont un peu grosses, je me suis totalement plongée dans cette histoire et je n’ai pas vu défiler les 650 et quelques pages.



Extrait :

« Ainsi, des femmes avaient commencé à employer des termes dangereux comme justice et liberté, des mots qui sonnaient très bien dans la bouche des hommes, mais pas dans celle des femmes. Car chez elles, ces mots pouvaient en sous-entendre un autre, bien plus scandaleux, qui était égalité. »



« Le Baron adorait la pauvreté : la pauvreté, c'était la véritable richesse des riches, c'était la clé magique pour obliger les gens à accepter ce qu'ils n'accepteraient jamais autrement. »



« Les fautes des pères étaient des chaînes qui emprisonnaient leurs enfants. En tout cas, c'était son sentiment. "Le sang était impossible à laver", avait dit Tony »

samedi 9 mai 2020

Soeur - Abel Quentin

Par Ariane


Auteur : Abel Quentin

Titre : Sœur  

Genre : roman

Langue d’origine : français

Editeur : L’observatoire

Nombre de pages : 256p

Date de parution : août 2019
 
Mon avis :

« Abel Quentin pourrait être la version masculine d’Anaïs Llobet. » écrivait Nicole dans son billet. Rien n’est plus vrai et je pourrais dire qu’il n’y a rien à ajouter !

Comme beaucoup d’adolescentes, Jenny Marchand est mal dans sa peau. Pas d’amis, physique ingrat, caractère revêche, elle observe de loin ces adolescents populaires qui ne la remarquent même pas. Un jour d’audace folle, elle tente sa chance auprès d’un beau garçon dont elle est amoureuse. Le rejet et la honte, puis le harcèlement sur les réseaux sociaux, exacerbent en elle la colère et la détresse. Perdue dans sa détresse et sa solitude, Jenny ne voit aucune issue. Mais un message change sa vie. Une inconnue lui tend la main, lui offre son amitié. Pour la première fois, Jenny a une amie, qui l’accepte, la comprend et la soutient. Alors, à corps perdu, Jenny se jette dans cette amitié empoisonnée. Quelques mois à peine suffiront à transformer l’adolescente complexée en apprentie terroriste.

Ainsi donc, comme Anaïs Llobet dans l’excellent Des hommescouleur de ciel, Abel Quentin s’empare du sujet brûlant de la radicalisation et du passage à l’acte terroriste d’adolescents en perdition. Radicalisation n’est d’ailleurs pas le bon terme, comme l’a expliqué l’auteur. Jenny ne connaît rien à l’Islam, Jenny ne comprend pas, Jenny ne réfléchit pas. Elle est abreuvée sans cesse de mots et d’images de haine, échos de sa colère et de sa souffrance. Ce n’est pas une conversion, c’est un lavage de cerveau. Cela paraît impossible et pourtant… combien de parents ont vu ainsi dériver l’enfant aimé… C’est troublant, terrifiant.

Abel Quentin nous entraîne dans l’esprit de Jenny, certaines lectrices (et lecteurs) pourront se reconnaître un peu dans cette jeune fille perdue, proie idéale pour des fous en tous genres. Car elle n’est que ça finalement, une gamine paumée, qui se croit enfin acceptée, qui fait partie d’un groupe pour la première fois de sa vie, qui a l’impression d’avoir un but alors que son avenir lui semblait vide. Une gamine paumée chez qui les versets sanglants et les images de décapitation, cohabitent avec le monde de Harry Potter

Outre le récit de la descente aux enfers de Jenny, Abel Marchand nous raconte celle de ses parents. Un couple ordinaire, classe moyenne, pavillon en banlieue. Ils assistent, impuissants, à la transformation de leur fille. Ils cherchent de l’aide mais n’en trouvent aucune. La gendarmerie ne peut rien faire, les associations non plus, pas plus que le proviseur du lycée. Ils n’ont aucune prise sur leur fille, qui à 15 ans, comme on le croit souvent à cet âge, est persuadée qu’elle sait tout et que ses parents ne savent rien.

J’ai moins adhéré en revanche aux passages plus politiques consacrés au président Saint-Maxens et à son premier ministre, candidat aux présidentielles. Je n’ai jamais éprouvé grand intérêt pour la politique, les jeux de pouvoirs m’ennuient (sauf quand il est question de rois maudits ou d’un trône de fer…), les mesquineries, manipulations, petits et grands mensonges… Saint-Maxens, vieux roublard de la politique sur le déclin, et Benevento, arriviste aux dents longues, sont des personnages très réalistes, trop peut-être.

Malgré ce léger bémol, j’ai beaucoup aimé ce roman, bien écrit et percutant. Un premier roman réussi qui a figuré dans la première sélection du Goncourt.



Extrait :

« Claquemurée dans le pavillon familial, l’enfance de Jenny s’est consumée dans le silence. Pas que ses parents soient des taiseux, simplement leur caquetage est pour elle comme le silence: vide et oppressant. »



« Elle veut forcer l’indifférence générale, fasciner le monde ou le révulser. Barbouiller le ciel de sa douleur obscène, éclabousser l’horizon de ses jeunes viscères, exhiber son âme si dégueulassement écorchée et mélancoliquement inadéquate, achalander ses salopes souffrances  sur un étal de boucherie à faire pâlir un équarrisseur, un étal ignoble et somptueux. »

L'avis de Nicole