Par Ariane
Auteur :
Leila Slimani
Titre :
Le pays des autres
Genre :
roman
Langue
d’origine : français
Editeur :
Gallimard
Nombre de
pages : 368p
Date de
parution : mars 2020
Mon avis :
Pendant le confinement, les auteurs, éditeurs et libraires s’inquiétaient
du sort réservé aux livres parus juste avant que les librairies ferment et que la France se
confine. Effectivement, je n’avais pas du tout entendu parler de ce nouveau
roman de Leila Slimani. Si j’ai entendu parler de l’autrice pendant cette
période c’est uniquement pour son journal de confinement, qui lui a valu des moqueries
plus ou acerbes. Je suis donc bien contente d’être par hasard tombée sur ce
titre qui a de quoi séduire.
Leila Slimani nous y raconte l’histoire de Mathilde et
Amine. Mathilde, jeune alsacienne d’une vingtaine d’années, est tombée
amoureuse d’Amine, soldat marocain participant à la libération de la France. Rapidement
marié, le jeune couple débarque au Maroc en 1946 pour reprendre l’exploitation
agricole héritée du père, près de Meknes. Mathilde se rêve en baronne Blixen,
avec à ses côtés un mari prévenant et amoureux, mais elle débarque sur une
terre aride et isolée où tout reste à faire. Amine travaille sans cesse, s’éloignant
et s’assombrissant chaque jour un peu plus, tandis que Mathilde peine à trouver
sa place dans ce pays inconnu.
Au cœur de ce récit, il y a donc l’histoire d’un couple qui
peine à se comprendre. La vie de couple n’est pas toujours simple, mais pour
deux personnes issues de milieux si différents, ne possédant pas les mêmes
codes, c’est encore plus difficile. D’autant plus que leur couple est mal vu,
tant par les marocains que par les français installés au Maroc. Mathilde subit
particulièrement l’opprobre et le rejet des deux communautés. Pour les uns,
elle reste une étrangère, pour les autres, elle l’est devenue. Française,
mariée à un marocain, elle continue à vivre avec une liberté qui n’est pas
permise aux femmes marocaines. Elle brouille les frontières et cela perturbe
fortement Amine qui souhaiterait parfois qu’elle soit plus conforme à l’idée qu’il
se fait d’une bonne épouse, d’une femme respectable. Les choses ne sont pas
simples non plus pour lui, tiraillé entre son attachement aux traditions dans
lesquelles il a grandi et les concessions qu’il doit faire par amour.
Au-delà de la problématique du couple, c’est donc de la
place de la femme dont il est ici question et ce notamment à travers tous les
personnages féminins du récit. Mouilala, la mère d’Amine, a traversé sa vie
comme un fantôme, elle n’est quasiment jamais sortie de la maison, elle a
consacré sa vie à sa famille, sans avoir la possibilité d’exprimer ses états d’âmes
ou ses désirs. Selma, la jeune sœur, enfant chérie de sa mère, belle et éprise
de liberté au point de prendre des risques énormes. Enfin, Aïcha, la fille d’Amine
et Mathilde, fillette brillante qui observe d’un œil innocent mais étonnamment
perspicace ses proches.
Finalement, il n’y a pas que Mathilde qui peine à trouver sa
place dans le Maroc des années 50. Tous les personnages du roman, hommes et femmes, marocains et européens,
sont en recherche d’eux-mêmes. Tous vivent dans le pays des autres. Slimani
nous raconte un Maroc en pleine mutation, un pays qui se cherche, une société
où les clivages entre communautés s’exacerbent jusqu’à atteindre un point de non-retour.
Comme pour son précédent roman, c’est très bien écrit, les
personnages sont fouillés et bien amenés, l’histoire se déroule avec fluidité
et les pages défilent sans que l’on s’en rende compte. Il s’agit apparemment du
premier tome d’une trilogie autour de la famille Belhaj, saga familiale et
historique à la fois, dont j’ai bien envie de connaître la suite.
Extraits :
« « Ici, c’est comme ça. » Cette phrase, elle
l’entendrait souvent. À cet instant précis, elle comprit qu’elle était une
étrangère, une femme, une épouse, un être à la merci des autres. Amine était
sur son territoire à présent, c’était lui qui expliquait les règles, qui disait
la marche à suivre, qui traçait les frontières de la pudeur, de la honte et de
la bienséance. »
« Que faisait-elle ici ? Elle ne pouvait s’en prendre
qu’à elle-même et à sa vanité. C’est elle qui avait voulu vivre l’aventure, qui
s’était embarquée, bravache, dans ce mariage dont ses amies d’enfance enviaient
l’exotisme. À présent, elle pouvait être l’objet de n’importe quelle moquerie,
de n’importe quelle trahison. »
« Les yeux baissés, son voile remonté jusqu’au-dessus
du nez, elle se sentait disparaître et elle ne savait pas vraiment quoi en
penser. Si cet anonymat la protégeait, la grisait même, il était comme un
gouffre dans lequel elle s’enfonçait malgré elle et il lui semblait qu’à chaque
pas elle perdait un peu plus son nom, son identité, qu’en masquant son visage
elle masquait une part essentielle d’elle-même. »
« Lorsqu’elle était arrivée au Maroc elle ressemblait
encore à une enfant. Et elle avait dû apprendre, en quelques mois, à supporter
la solitude et la vie domestique, à endurer la brutalité d’un homme et
l’étrangeté d’un pays. Elle était passée de la maison de son père à la maison
de son mari mais elle avait le sentiment de ne pas avoir gagné en indépendance
ni en autorité. »
« Chez Omar, la soif de vivre allait de pair avec
l’envie de détruire : détruire les mensonges, casser les images, réduire en
bouillie le langage, les intérieurs crasseux pour faire surgir un ordre nouveau
dont il pourrait être l’un des maîtres. »
« Amine était né au milieu de ces hommes, au milieu de
ce peuple, mais il n’en avait jamais conçu de fierté. Au contraire, il lui
était souvent arrivé de vouloir rassurer les Européens qu’il rencontrait. Il
avait tenté de les convaincre que lui était différent, qu’il n’était ni fourbe,
ni fataliste, ni fainéant, comme les colons aimaient à parler de leurs
Marocains. »