vendredi 29 septembre 2017

Le conflit, la femme et la mère - Elisabeth Badinter

Par Daphné















Auteur : Elisabeth Badinter
Titre : Le conflit la femme et la mère
Genre : essai
Langue d’origine : français
Editeur : Flammarion
Nombre de pages : 254
Date de parution : 2010

Résumé de l'éditeur :

Trente ans après L’Amour en plus, il se livre une véritable guerre idéologique souterraine, dont on ne mesure pas encore pleinement les conséquences pour les femmes. Le retour en force du naturalisme — qui remet à l'honneur le concept bien usé d'instinct maternel — constitue le pire danger pour leur émancipation et l'égalité des sexes.

À force d'entendre répéter qu'une mère doit tout à son enfant, son lait, son temps et son énergie, il est inévitable que de plus en plus de femmes reculent devant l'obstacle. Certaines trouvent leur plein épanouissement dans la maternité, mais la majorité d'entre elles feront un jour le calcul des plaisirs et des peines : d'un côté, une expérience irremplaçable, l'amour donné et rendu et l'importance de la transmission ; de l'autre, les frustrations et le stress quotidien, les inévitables conflits et parfois le sentiment de l'échec.

Si plus d'un quart des Allemandes restent sans enfant, cela signifie qu'elles trouvent à se réaliser ailleurs que dans la maternité telle qu’on la leur impose. Pour l'heure, les Françaises ont échappé à ce dilemme du tout ou rien. Tiendront-elles tête aux injonctions des « maternalistes » soutenus par les plus respectables institutions ? Jusqu'à quand sauront-elles imposer leurs désirs et leur volonté contre le discours rampant de la culpabilité ?
E.B.


Mon avis :

J'avais déjà lu ce livre il y a quelques années (je n'avais pas encore d'enfant à l'époque) et je me rappelle que de nombreux passages m'étaient alors restés en travers de la gorge. Suite à mes lectures de Sarah Blaffer Hrdy il y a peu, j'ai voulu relire le livre d'Elisabeth Badinter. En effet, certains articles tendent à opposer leurs points de vue et toutes deux se citent mutuellement dans leurs écrits, à la différence près que si Sarah Blaffer Hrdy parle d'Elisabeth Badinter et de ses essais de manière plutôt respectueuse, cette dernière tend au contraire à "démonter" la thèse de Sarah Blaffer Hrdy. J'ai donc voulu relire Le conflit, la femme et la mère... et j'en ai gardé un goût plutôt amer!

Ce livre a été salué comme étant un ouvrage très féministe. Selon Elisabeth Badinter, le mouvement féministe des années 70 a été oublié au profit du naturalisme, lequel représente un véritable retour en arrière pour la femme. de nombreuses femmes sacrifieraient leur vie professionnelle et leur épanouissement pour leurs enfants auxquelles elles sont censées "tout devoir". 

La thèse d'Elisabeth Badinter comporte des aspects très intéressants et on la sent véritablement engagée pour la cause féminine mais... pour moi il y a un grand, un énorme "mais" ! J'ai lu ce livre avec mes yeux de femme mais aussi -et sans doute surtout- avec mes yeux de mère... et c'est là que le bât blesse car visiblement je suis le type de mère qu'Elisabeth Badinter qualifierait sans doute "d'esclave de ses enfants" : une mère qui a pris un congé parental et a pratiqué plusieurs aspects de ce qu'elle appelle le "naturalisme" (certains nomment cela le maternage proximal : à savoir entre autres l'allaitement, le portage en écharpe, le cododo, les couches lavables, le fait de préparer soi-même les repas et d'éviter la nourriture industrielle etc). Est-ce que cela fait de moi une anti-féministe? 

L’allaitement, est, selon l'auteur, l'"empêcheur de tourner en rond du féminisme" (ce ne sont pas ses propres mots mais ma manière de résumer les choses) et il existerait une véritable pression poussant les femmes à allaiter, souvent contre leur gré. Elle se penche notamment sur le cas de La Leche League qu'elle considère visiblement comme la grande ennemie du féminisme. Elle en parle avec une ironie et une dureté qui m'ont paru assez injustifiées. A mes yeux, La Leche League est davantage un réseau de soutien et aux femmes souhaitant allaiter qu'un mouvement culpabilisateur face à celles qui ne le souhaitent pas. Dans le même ordre d'idée, je l'ai trouvé extrêmement dure avec les hôpitaux dits "Amis des Bébés".

Elisabeth Badinter dénonce une véritable pression sociale qui imposerait l'allaitement aux mères mais ne se base pour cela que sur le point de vue de ces dernières, ne se demandant absolument pas quel genre de pression est souvent imposée à celles qui allaitent leur enfant. Les discours en France tendent peut-être vers l'allaitement mais c'est loin d'être la vision globale de la société. Il est vrai qu'il existe parfois une certaine culpabilisation envers les mères qui donnent le biberon mais c'est aussi le cas envers les mères qui allaitent, envers celles qui refusent de laisser pleurer leur enfant et celles qui le laissent pleurer, envers celles qui reprennent tôt le travail et envers celles qui choisissent de rester auprès de leur enfant quelques temps, etc. Quel que soit l'objet de la culpabilisation, elle est toujours là à un moment ou un autre. Le jugement d'autrui envers les mères a toujours existé et peut-être est-ce contre cela qu'il faudrait lutter plutôt que contre l'allaitement...

 Allaiter semble être, aux yeux d'Elisabeth Badinter, en parfaite contradiction avec ce pour quoi les femmes en France se sont battues dans les années 70, notamment du fait de disposer de leur corps selon leurs souhaits. Mais une mère qui choisit d'allaiter ne fait elle pas également ce choix -là? Pourquoi se placer uniquement du côté de celles qui ont allaité parce qu'elles s'y sentaient obligées et non également de celui des femmes qui ont fait ce choix de manière libre et éclairée ou de celles qui ont nourri leur enfant au biberon sans pour autant en être culpabilisées ? 

Je pourrais écrire un livre sur le sujet tant j'ai d'exemples en tête mais je vais éviter de m’appesantir là-dessus. Je dirai juste que je trouve extrêmement dommage et trop simple d'opposer ainsi l’allaitement au féminisme. 

Il en est aussi de même, à mon avis, pour ce qu'Elisabeth Badinter nomme le "naturalisme " en général. Se soucier de l'avenir de la planète va t-il vraiment à l'encontre de la libération de la femme? Elle n'a certes pas tort lorsqu'elle dit que ce ne seront pas les papas qui nettoieront les couches lavables car effectivement, dans la plupart des familles, ce sont les femmes qui endossent le plus gros pourcentage des tâches ménagères. Mais n'est-ce pas prendre le problème à l'envers que d'en reporter la faute sur le "naturalisme"? N'est ce pas plutôt une question d'agissement sociétal entre homme et femme plutôt qu'une question d'écologie? Peut-on vraiment parler de retour en arrière concernant les couches lavables ou le fait de préparer soi-même les repas de son enfant ? Ne serait ce pas plutôt une simple prise de conscience? Il est vrai que dans les années 70, les couches jetables et les petits pots tout prêts pour les bébés ont simplifié la vie des mères mais le contexte écologique et ce qu'on en connaissait à ce moment-là n'était pas le même. Le fait de cuisiner bio peut-il être considéré comme un retour en arrière pour la femme alors qu'après tout, faire la guerre aux pesticides et aux plats industriels est aussi une manière de lutter contre une aspect de la société et  de prendre soin de son propre corps et de celui de ses enfants, ce qui peut finalement rejoindre le courant féministe si l'on considère les choses sous un autre angle. Etre "citoyenne de la planète" en tentant de protéger celle-ci empêche t-il vraiment d’être femme?

Dans le même ordre d'idée, pourquoi un tel acharnement contre celles qui refusent la péridurale ou souhaitent accoucher chez elles? Pouvoir décider ou non d'avoir une péridurale ou décider le lieu où l'on souhaite accoucher est un choix, une liberté qui est offerte à la femme alors pourquoi juger cela ? Et pourquoi diviser les femmes entre deux catégories (pour résumer les mères "natures" qui allaitent, cuisinent bio, utilisent des couches lavables et arrêtent de travailler et les mères "non natures" qui donnent le biberon, reprennent le travail tôt et donnent des petits pots tout prêts). j'ai trouvé ce "tri" très caricatural...

Quand à considérer le bébé comme "le meilleur allié de la domination masculine", j'ai trouvé cela assez terrible... surtout si l'on considère que près de la moitié des bébés en questions sont des filles et donc des futures femmes qui infligeraient à leurs mères le poids d'une domination qu'elles mêmes seraient plus tard amenées à rencontrer pour les mêmes raisons. Faudrait il alors casser la dyade mère/enfant si importante les premiers mois car celle-ci nuirait à la femme et, selon les propos d'Elisabeth Badinter, exclurait le père? Quitte à tenir exactement le genre de propos qui semble alarmer l'auteur, je pense que cette dyade mère/enfant si fusionnelle au début de la vie de l'enfant est essentielle. Défendre le droit des femmes reviendrait il alors à refuser à la mère et l'enfant cette soif de proximité qui les réunit dans un premier temps?  Je ne comprend pas en quoi le peau à peau à la naissance, proposé dans le but de favoriser l'attachement entre la mère et l'enfant (et le père aussi d'ailleurs!) serait aliénant pour la femme. Il est bien beau de vouloir défendre les droits de la femme et la place du père mais et l'enfant dans tout cela? N'est-il pas important que ses besoins - et le contact si intense avec sa mère les premiers mois fait parti de ces besoins- soient pris en compte? Considérer le bébé comme un tyran à l'âge où il est, somme toute, le plus innocent me paraît très triste. Ce sont les bébés qui seront les futurs hommes et les futures femmes de demain. Si leurs besoins sont niés dés la naissance au profit d'un confort parental ou d'une idéologie, il est quelque part logique qu'ils en gardent des traces et se manquent mutuellement de respect entre eux à l'âge adulte...

J'ai donc trouvé la vision d'Elisabeth Badinter à propos des "mères natures" à la fois caricatural, sarcastique et mal renseignée. D'ailleurs, où sont les sources de ce qu'elle prétend? Les entretiens, les faits scientifiques (car mine de rien, on a beau être dans de la sociologie, certaines questions abordées relèvent également de la science), les statistiques? Il m'a semblé qu'il y avait un certain manque d'information dans ce livre. J'ai eu à certains moments davantage eu l'impression de lire un traité de vengeance et de moqueries plutôt qu'un essai sociologique.  Et c'est vraiment dommage car par ailleurs, Elisabeth Badinter soulève des questions particulièrement intéressantes telles que la parité homme/femme au sein d'un couple mais également dans le milieu professionnel. Elle nous parle également du fait de ne pas vouloir d'enfant ce qui, aux yeux de la société est souvent incompris, de la différence entre le fantasme et la réalité de la maternité, les différentes politiques familiales, l’ambiguïté de la féminité ...

Bien que consciente de la chance que j'ai d'être femme ici et non à certains autres endroits de la planète, j'ai également conscience qu'il existe encore en France de gros problèmes au niveau de parité entre les hommes et les femmes et je trouve extrêmement important et honorable de militer pour les droits des femmes. La place du père auprès des enfants est également un sujet sur lequel il mérite de se pencher mais contrairement à Elisabeth Badinter, je ne pense pas que la non implication de certains pères soient dus à l'allaitement ou au peau-à-peau. Il y a un réel travail à effectuer sur cette implication ainsi que sur la parité des hommes et des femmes dans le milieu professionnel. Les questions soulevées par l'auteur sont réellement dignes d’intérêt et méritent qu'on se batte pour accéder à cette parité mais je pense néanmoins qu'Elisabeth Badinter ne s'en prend pas aux bons "coupables "...

Extrait :

"Le retour en force du naturalisme, remettant à l'honneur le concept bien usé d'instinct maternel et faisant l'éloge du masochisme et du sacrifice féminins, constitue le pire danger pour l'émancipation des femmes et l'égalité des sexes."


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