Auteur :
Goliarda Sapienza
Titre :
L’art de la joie
Genre :
roman
Langue
d’origine : italien
Traducteur :
Nathalie Castagné
Editeur :
Viviane Hamy
Nombre de
pages : 640p
Date de
parution :
Présentation de l’éditeur :
L’Art de la joie résiste à toute présentation. Roman
d’apprentissage, il foisonne d’une multitude de vies. Roman des sens et de la
sensualité, il ressuscite les élans politiques qui ont crevé le XXe siècle.
Ancré dans une Sicile à la fois sombre et solaire, il se tend vers l’horizon
des mers et des grandes villes européennes...
Mon avis :
La page Wikipedia consacrée au roman explique que celui-ci a
été refusé par de nombreux éditeurs à cause de son contenu pour le moins
subversif. Initialement publié à compte d’auteur, il est passé inaperçu jusqu’à
sa publication française. Ce n’est qu’après qu’il a connu le succès. Et je me
demande comment un tel livre a pu passer inaperçu ? C’est une lecture surprenante, dérangeante par moments, bouleversante dans tous les sens du
terme, magnifique en tous cas.
Difficile, voire impossible de résumer L’art de la joie ! De sa petite enfance à la vieillesse, ce
roman nous raconte la vie de Modesta, née avec le siècle dans une famille
pauvre d’un village pauvre du cœur de la Sicile et devenue princesse par
mariage, intellectuelle et communiste, farouchement éprise de liberté,
sensuelle et généreuse.
Modesta est un personnage inoubliable, un personnage
étonnant et magnifique. Mais c’est surtout un personnage insaisissable,
ambivalent. La vie est pour elle la valeur suprême pourtant elle n'hésite pas
à tuer et n’en éprouve aucun remords. Elle aime passionnément, mais peut aussi se
monter d’une froideur glaçante. Modesta aime aussi bien les hommes que les femmes, refuse de se soumettre à un homme,
rejette avec haine la religion, n’espère que la révolution. C’est une mère
aimant passionnément ses petits (ou ceux qu’elle a décidé de considérer comme
tels) mais elle leur permet toute la liberté qu’elle peut leur offrir. Mais elle se montre aussi manipulatrice, égoïste et sans scrupules. Ai-je
aimé Modesta ? Je ne saurai dire, mais une chose est sûre : Modesta
est inoubliable.
Autour d’elle, toute une famille, de sang ou de cœur, s’est
composée. L’amour lie solidement tous ces êtres si différents les uns des
autres, la politique et l’art sont omniprésents dans le quotidien de la
maisonnée, tout comme la solidarité et la joie. Eux aussi sont inoubliables. D’ailleurs,
même après leurs morts, certains sont toujours présents, Modesta continuant de
dialoguer en esprit avec eux ou apercevant leur fantômes.
C’est un roman déconcertant. Modesta est la narratrice de
son histoire, mais tout à coup, une phrase, un paragraphe sont rédigés à la
troisième personne. Certains dialogues sont présentés comme dans une pièce de
théâtre. Parfois elle interpelle le lecteur. On passe d’une langue classique à
un langage populaire, parsemé de dialecte. Déconcertant donc, mais pas du tout
gênant.
C’est un roman difficile. Après les premiers chapitres, je
me suis même demandée si je tiendrai jusqu’au bout ! En dix pages
seulement : un inceste, un matricide et un fratricide, ça fait beaucoup. Par
ailleurs, pour qui ne connaît pas vraiment l’histoire politique de l’Italie du
début du 20ème siècle, ce qui est mon cas, il peut être difficile de
s’y retrouver.
C’est un roman anticonformiste, dérangeant et exigeant.
Anticonformiste par certains des thèmes abordés, par ce personnage central
atypique. Dérangeant par l’immoralité de ce personnage qui a tué plusieurs fois
et qui frôle l’inceste. Exigeant par son écriture et la complexité de sa
construction.
Impossible pour moi de ne pas penser à L’amie prodigieuse d’Elena
Ferrante car certains points communs sont évidents (une femme née dans un
milieu très populaire, brillante et au fort tempérament, une implication
politique,…). Mais à choisir j’opterai pour celui-ci !
Et pour continuer à multiplier les adjectifs :
impressionnant, flamboyant, formidable. Un chef d’œuvre ? Absolument !
Extrait :
« - Pourquoi est-ce que tu m’as mis au monde si tu
savais que je deviendrais vieux ? »
« Quiconque a connu l’aventure de doubler le cap des
trente ans, sait combien il a été fatigant, âpre et excitant d’escalader la
montagne qui des pentes de l’enfance monte jusqu’à la cime de la jeunesse, et
combien a été rapide, comme une chute d’eau, un vol géométrique d’ailes dans la
lumière, quelques instants, et… hier j’avais les joues fraîches des vingt ans,
aujourd’hui –en une nuit ? – les trois doigts du temps m’ont effleurée,
préavis du petit espace qui reste et de la perspective finale qui attend
inexorablement… Première, mensongère terreur des trente ans. »
« Le mal réside dans les mots que la tradition a voulu
absolus, dans les significations dénaturées que les mots continuent à revêtir.
Le Mot amour mentait, exactement comme le mot mort. Beaucoup de mots mentaient.
Ils mentaient presque tous. Voilà ce que je devais faire : étudier les mots
exactement comme on étudie las plantes, les animaux… Et puis, les nettoyer de
la moisissure, les délivrer des incrustations des siècles de tradition, en
inventer de nouveaux, et surtout écarter pour ne plus m’en servir, ceux que
l’usage quotidien emploie avec le plus de fréquence, les plus pourris, comme :
sublime, devoir, tradition, abnégation, humilité, âme, pudeur, cœur, héroïsme,
sentiment, piété, sacrifice, résignation. »
« Non, on ne peut communiquer à personne cette
plénitude de joie que donne l’excitation vitale de défier le temps à deux, d’être
partenaires dans l’art de le dilater, en le vivant le plus intensément possible
avant que ne sonne l’heure de la dernière aventure ? Et si cet homme –mon vieux
petit ami – s’étend sur moi avec son beau corps lourd et léger, et me prend
comme il le fait maintenant, ou me baise entre les jambes comme Tuzzu le
faisait autrefois, je me retrouve à penser bizarrement que la mort ne sera
peut-être qu’un orgasme aussi comblant que celui-là. »
Je n'ai pas pu dépasser quelques dizaines de pages... trop dérangeant, trop abrupt. Pourtant, j'avais aimé Moi, Jean Gabin et L'université de Rebibia.
RépondreSupprimerA vrai dire, s'il n'y avait eu les coups de coeur de ma libraire et de la bibliothécaire, j'aurai probablement abandonné au bout de quelques pages pour les mêmes raisons que toi. Mais leur faisant confiance j'ai décidé de continuer et je ne le regrette pas ! Fort heureusement, cette violence des premières pages, s'atténue ensuite même s'il en persiste quelque chose et si les actes de Modesta sont parfois très dérangeants.
SupprimerUn roman que j'ai dans ma PAL depuis sa parution...et que je n'ai jamais ouvert ! d'après ton billet, c'est une grossière erreur...
RépondreSupprimerOh oui ! Mais n'hésite pas à persister malgré les premières pages plus que difficiles.
SupprimerJe me demande si j'aimerais ce livre ; à l'occasion je le prendrai à la bibliothèque, mais l'abandonnerai très vite si je vois que ça ne colle pas.
RépondreSupprimerIl est très particulier et je conçois tout à fait qu'il ne plaise pas. Mais il mérite sa chance.
Supprimeril faut persévérer et le mériter ce livre, si j'ai bien compris !Je ne connaissais pas...
RépondreSupprimerOui, il faut s'accrocher.
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